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et force, quand il le faut, les voies même de la consommation ? Il ne faut pas oublier non plus ses relations déjà formées, ses débouchés établis avec art et de longue main, non plus que son organisation toute faite, aussi bien que celle des industries secondaires qui s’y rapportent. Et ce dernier point est important ; car c’est le malheur de toute industrie naissante, que rien dans le pays n’est préparé pour son usage et qu’il faut tout créer. Ainsi, aux causes permanentes d’infériorité, il s’en joint d’autres transitoires, qu’il serait injuste d’oublier. N’est-ce pas assez de tout cela pour justifier les plaintes et les réclamations que nos industriels ont fait entendre ? Que faut-il de plus pour que la sollicitude du pouvoir s’éveille ?

Il faut le reconnaître, le gouvernement n’est pas resté absolument sourd à la voix des réclamans ; mais, à côté de la sympathie qu’il leur a manifestée quelquefois, il y a lieu de s’étonner de la froideur qu’il a montrée en d’autres temps, et surtout de sa lenteur à résoudre, quand tous les faits sont éclaircis.

Dès l’année 1833, les faits produits fixèrent l’attention du ministre du commerce ; dans un voyage qu’il fit à Lille et en Angleterre, il s’informa soigneusement de tout ce qui avait rapport à la fabrication et au commerce des fils de lin, et il jugea que cet objet avait assez d’importance pour que les conseils généraux de l’agriculture, des fabriques et du commerce, qui s’assemblaient alors, eussent à s’en occuper. Le conseil-général du commerce pensa qu’il n’y avait rien à faire, celui des manufactures nomma une commission dont l’avis fut de porter de 24 à 100 francs le droit sur le fil de lin ; mais le conseil se borna à voter le doublement du droit. C’est d’après ce vote que le gouvernement présenta, le 4 février 1834, un projet de loi qui portait à 50 francs le droit sur les fils simples écrus. La commission de la chambre des députés adopta le principe de ce projet. Il semblait donc que dès cette époque, où le danger était moins pressant qu’aujourd’hui, une mesure allait être prise et une augmentation quelconque votée ; mais des discussions s’étant élevées sur la quotité du droit, et la commission ne se trouvant pas encore en mesure de faire une révision analogue du tarif des toiles, le projet ne fut pas discuté par les chambres, et le gouvernement ne le reproduisit plus.

Dans la suite, le mal s’étant accru, on fut contraint de s’en occuper de nouveau. Dans le mois de décembre 1837, les conseils-généraux de l’agriculture, des fabriques et du commerce, furent, pour la seconde fois, saisis de cet objet, et ils votèrent, les deux premiers, pour une augmentation, et le dernier pour un plus ample informé. En même temps de nombreuses pétitions adressées aux deux chambres, au nom de l’agriculture en souffrance, des populations de l’ouest qui vivent du filage à la main, des industriels qui avaient entrepris la filature mécanique et des diverses sortes de tisserands, attiraient l’attention de la législature, et accusaient l’inertie du gouvernement. Ces pétitions furent rapportées ; mais alors des résistances s’élevèrent de la part d’un grand nombre d’intérêts, tels que ceux des vignicoles du midi, de la fabrique de Lyon, des commerçans en fils et en toiles étrangères, et une lutte s’engagea. C’est pour éviter une discussion qui lui semblait intempestive, et qui n’aurait