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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

Un peu plus tard, M. Vayson ; fabricant de tapis à Abbeville, parvint aussi à rapporter d’Angleterre quelques métiers, non dans le but d’établir une filature, mais afin de pouvoir, à l’exemple des Anglais, former les chaînes de ses tapis avec des fils d’étoupes. Ces machines, qu’il avait payées en partie d’avance, lui arrivèrent, après une longue attente, chargées d’un surcroît de frais de 130 pour 100. Après lui, vinrent MM. Malo et Dickson, de Dunkerque. Il paraît que ces derniers importateurs avaient fait leurs premières démarches dès l’année 1832, c’est-à-dire avant tous les autres ; mais, soit que ces démarches aient été moins actives, ou que des circonstances particulières aient retardé leur succès, elles n’eurent d’effet que beaucoup plus tard, et MM. Malo et Dickson ne commencèrent à obtenir des produits qu’en 1837. Quelques autres encore suivirent ces exemples avec des succès divers.

Ainsi peu à peu les machines anglaises s’introduisaient en France, et notre industrie, toujours battue en brèche, commençait du moins à entrevoir l’espoir d’une résurrection prochaine. Il faut le dire toutefois, ces importations partielles, quelque précieuses qu’elles fussent, avaient des avantages bornés. Elles ne profitaient qu’à un petit nombre de manufactures, sans aucun espoir d’extension ; car nos premiers importateurs, suivant en cela l’exemple des fabricans anglais, s’étaient imposé la loi de n’admettre personne au partage de leurs conquêtes. Deux d’entre eux, MM. Scrive et Feray, avaient même adjoint à leurs filatures des ateliers de mécanique, où ils essayaient de construire ces machines pour leur usage particulier, interdisant l’entrée de leurs établissemens à tous les visiteurs. Qui pourrait les en blâmer ? La possession de ces instrumens nouveaux était le fruit de leurs soins, de leurs travaux et de leurs sacrifices, et elle leur avait coûté assez cher pour qu’ils songeassent à s’en réserver l’exploitation. Si le pays avait eu quelque chose à leur demander, c’eût été peut-être de communiquer leurs modèles, avec certaines conditions, à des hommes capables de s’en servir utilement dans l’intérêt de notre industrie, comme le fit ensuite M. Vayson, mais non de les montrer au hasard, et encore moins de les étaler, comme on le fait aujourd’hui, dans une exposition publique. En les dérobant aux regards, ils étaient donc dans la raison comme dans leur droit. Toujours est-il que le système anglais ne franchissait pas l’enceinte de leurs manufactures. Aux conditions où ils se l’étaient approprié, il était même difficile que ce système se propageât parmi nous ; car, quelle apparence de renouveler pour un grand nombre d’établissemens, et tous les jours, ces expéditions aventureuses que nous venons de rappeler ? Disons mieux, des établissemens ainsi formés se seraient trouvés dans des conditions trop désavantageuses pour l’avenir, puisqu’ils auraient dû, ou posséder chacun des ateliers spéciaux de mécanique, méthode onéreuse et même impraticable, ou recourir sans cesse à l’Angleterre, soit pour réparer, soit pour renouveler leurs instrumens. Pour que l’usage de ces instrumens se généralisât en France, il fallait donc qu’un mécanicien habile s’en emparât. Cette tâche fut remplie par M. Decoster, que nous avons déjà nommé, et auquel revient, en définitive, l’honneur d’avoir naturalisé en France le système anglais de la filature du lin.