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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

l’hiver dernier. En effet, les lins d’une récolte n’arrivent de l’intérieur de la Russie à Riga, à Saint-Pétersbourg et dans les autres ports de la Baltique, que vers la fin de septembre, c’est-à-dire en automne. Il faut alors leur faire subir les préparations qu’ils reçoivent sur les lieux : le rouissage, le teillage et quelquefois même le peignage. Durant le cours de ces opérations, l’hiver survient, et la Baltique cesse d’être navigable jusqu’au mois de mai. Il s’expédie donc fort peu de ces lins avant l’hiver, et la plus grande partie est réservée jusqu’au mois de mai de l’année suivante, c’est-à-dire à la réouverture de la navigation. Le mouvement des achats durant l’hiver dernier, en France, a donc été déterminé par l’importance de la récolte russe de 1837. Eh bien ! il est précisément arrivé que cette récolte n’a pas suffi aux besoins ; car, aux mois de juillet et d’août 1838, les lins étaient, à Riga et à Saint-Pétersbourg, plus rares et plus chers qu’à aucune autre époque. Voilà ce qui fait que la demande s’est accidentellement portée en France durant l’hiver dernier ; mais si ces données sont exactes, et il est facile de s’en assurer[1], l’abondante récolte de 1838 venant à être expédiée des ports russes aux mois de mai et de juin 1839, les achats, en France, ont dû s’arrêter tout à coup. En sorte que les prévisions favorables de M. le ministre des finances, prévisions fondées sur le résultat des quatre premiers mois de l’année, auraient été déjà démenties par l’évènement au moment même où il les exprimait.

Il est une autre observation à faire, et, pour vérifier l’exactitude de celle-ci, il n’est pas besoin de sortir de France. En France même, les achats et les ventes de lin ne se continuent pas uniformément durant l’année entière. D’ordinaire, nos cultivateurs sont occupés jusqu’à l’automne avec les récoltes et les semailles ; c’est alors qu’ils commencent à faire subir au lin et au chanvre les préparations qui s’exécutent sur les champs, le rouissage et le teillage. Ce travail les conduit ordinairement jusqu’au milieu de l’hiver, c’est-à-dire vers la fin de décembre ou le commencement de janvier ; c’est alors, et alors seulement, qu’ils vont porter leurs lins au marché. Dès ce moment les offres se multiplient, parce que les paysans sont toujours pressés de vendre, et, pourvu que la demande y réponde, la marchandise s’écoule rapidement. Pendant les mois de janvier, février, mars et même avril, les transactions s’activent ; au mois de mai, tout est fini, la récolte est écoulée et les ventes s’arrêtent. Ce qui reste encore est peu de chose, et les ventes qui ont lieu dans le reste de l’année ne s’élèvent pas ordinairement à plus du sixième de celles qui se consomment pendant les premiers mois. Il n’est donc pas exact de dire que les 1,600,000 kilog. vendus dans ces quatre premiers mois de l’année annoncent, pour l’année entière, une vente de 5 millions, et l’on serait mieux fondé à croire que cette vente ne s’élèvera pas à plus de 2 millions, c’est-à-dire qu’elle ne dépassera pas encore celles de 1825 et de 1831.

Mais notre exportation de 1839 s’élevât-elle en effet à 5 millions de kilog., nous ne verrions encore là qu’un fait isolé, accidentel, qui ne détruirait pas

  1. Voir les documens annexés à l’enquête.