Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/195

Cette page a été validée par deux contributeurs.
191
DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE AU MOYEN-ÂGE.

fort de la pensée pour suivre sa voie, pour se soustraire insensiblement au joug de l’autorité ; elle était donc par là sur le chemin qui devait conduire à la réforme. La littérature philosophique du moyen-âge, celle qui n’a guère été écrite qu’en latin, contenait plus qu’aucune autre des germes d’indépendance, et elle a toujours, à diverses reprises, encouru les censures de l’église. De là les persécutions contre Aristote, esprit libre, païen, et par conséquent dangereux ; bien qu’on cherchât dans ses livres sa dialectique, qui n’était qu’un moyen, bien plus que ses conclusions métaphysiques, le seul fait d’un moyen, d’un instrument indépendant de l’église, lui faisait ombrage. Les divers corps au sein desquels, a fleuri la philosophie du moyen-âge ont partagé les mêmes disgraces. L’université de Paris a provoqué souvent les défiances de Rome. Quand les frères mineurs se sont emparés de l’enseignement, ils n’ont pas tardé à devenir suspects à leur tour. Enfin, même dans les ouvrages en langue vulgaire, comme dans la deuxième partie du Roman de la Rose, s’est montrée une extrême hardiesse, une extrême liberté de pensée, et jusqu’à une sorte de naturalisme et même de matérialisme prêché hautement, et mis dans la bouche de Genius, prêtre de la nature, qui arrive à certaines conséquences exprimées fort grossièrement, et assez semblables à ce qu’on a voulu établir, dans ces derniers temps, sous le nom de réhabilitation de la chair.

Un autre résultat auquel conduit l’étude impartiale et un peu approfondie du moyen-âge, c’est que l’opposition satirique occupe dans la littérature de ce temps une place infiniment plus considérable qu’on ne serait porté à le croire. Je ne sache pas une époque dans laquelle la raillerie, la satire, ait joué un aussi grand rôle que dans ce moyen-âge, qu’on s’est plu quelquefois à représenter comme une ère de sentimentalité et de mélancolie.

La satire n’est pas seulement dans les poèmes satiriques proprement dits ; elle se trouve partout : dans les poèmes moraux les plus lugubres comme les vers de Thibaut de Marly sur la mort, parmi lesquels l’auteur a soin d’intercaler une satire contre Rome ; dans les légendes, empreintes d’une dévotion ascétique, comme celle de l’évêque Ildefonse et de sainte Léocadie, légende que son pieux auteur interrompt brusquement pour adresser à l’église romaine la plus véhémente des invectives.

Dans les fabliaux, la satire perce à chaque vers ; elle semble s’être concentrée dans le Roman de Renart, pour se développer ensuite dans les plus vastes proportions, embrasser toute la société du moyen-