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Quoi qu’il en soit des causes qui ont restreint au moyen-âge l’inspiration religieuse, ce fait se rattache à un autre fait remarquable, au mouvement latent et comprimé, mais réel, de l’esprit vers l’indépendance de la pensée. Je ne parle ici que de ce qu’il y a de sérieux dans ce mouvement ; le tour de la satire viendra tout à l’heure.

Le premier pas de ce qu’on peut considérer comme une tendance de l’esprit à s’émanciper du joug de l’autorité, ce sont les traductions de la Bible en langue vulgaire ; ces traductions furent, dès le principe, suspectes à l’autorité ecclésiastique, et on les voit depuis se renouveler de siècle en siècle, toutes les fois qu’il y a quelque part une tentative d’insurrection contre cette autorité. Non-seulement la translation de la Bible dans une langue vulgaire soumettait les livres saints au jugement particulier de tous les fidèles, mais aussi à cette translation se joignit bientôt quelque chose de plus que la traduction pure et simple ; des interprétations, d’abord morales seulement, puis allégoriques, mirent sur la voie de ce que l’église voulait éviter, et de ce que la réforme a proclamé depuis, l’examen individuel de l’Écriture.

Si, au sein même de la littérature théologique, si, dans les traductions de la Bible, on surprend déjà ce qu’on peut appeler une aspiration à l’indépendance intellectuelle, à plus forte raison en surprendra-t-on aussi le principe dans la littérature didactique et philosophique, rivale de la littérature théologique.

Parmi les traités de morale qui eurent le plus de vogue au moyen-âge, quelques-uns étaient, pour le fonds, purement ou presque purement païens, comme les prétendus apophtegmes de Caton, la Consolation de Boëce. L’église devait se défier de la moralité puisée à ces sources profanes. Il y avait aussi des livres de morale pratique dont les principes, pour n’être pas païens, n’étaient pas beaucoup plus acceptables pour l’église ; c’étaient les traités qui avaient pour base les axiomes et en quelque sorte le code de la morale chevaleresque, de cette morale en partie différente de la morale dogmatique du christianisme, et par là suspecte à l’église.

Dans la littérature scientifique, dans ces trésors, ces images du monde, ces encyclopédies en prose et en vers qui contenaient le dépôt confus de toutes les connaissances du temps, il y en avait aussi une portion dont la foi pouvait s’alarmer. Là se trouvaient des idées sur la structure du monde, sur la disposition des êtres, qui étaient empruntées soit à l’antiquité, soit aux Arabes, soit même aux Juifs, et qui ne s’accordaient pas avec la science ecclésiastique. C’étaient donc, dans les deux cas, un commencement d’indépendance, un ef-