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DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE AU MOYEN-ÂGE.

même pour des héros qui ne nous appartiennent pas par droit de naissance, comme Arthur ou Tristan. Ces personnages, empruntés aux traditions étrangères, ont été plus tôt célébrés par notre muse épique qu’ils ne l’ont été dans les autres pays de l’Europe et dans la patrie même de ces traditions[1].

Les nouvelles italiennes ne sont pas, pour la plupart, empruntées à nos fabliaux ; un très grand nombre d’entre elles a pour base des anecdotes ou locales ou puisées aux sources les plus variées. Il en est cependant plusieurs, et des plus remarquables, qui n’offrent que des versions à peine altérées de nos fabliaux, soit dans Boccace, soit dans ses prédécesseurs ou ses continuateurs, soit enfin dans son imitateur anglais Chaucer. Quand La Fontaine a retrouvé chez Boccace des sujets qui étaient originairement français, il n’a fait que reprendre notre bien. Dépouillant ces récits enjoués de l’enveloppe quelque peu pédantesque dont Boccace les avait affublés, il leur a rendu, comme par instinct, leur caractère primitif. Avec beaucoup d’art et de finesse, il a reproduit, en l’embellissant, la naïveté de ses modèles, qu’il ignorait.

Maintenant que nous avons vu d’où venait le moyen-âge français, quels étaient ses rapports avec les autres littératures, il nous reste à l’étudier en lui-même, à le considérer dans les quatre grandes inspirations qui ont fait sa vie, dans les quatre tendances principales qui le caractérisent ; c’est l’inspiration chevaleresque, l’inspiration religieuse, la tendance par laquelle l’esprit humain aspire à l’indépendance philosophique ; enfin, c’est l’opposition satirique qui fait la guerre à tout ce que le moyen-âge croit et révère le plus.

L’inspiration chevaleresque fut plus puissante encore au moyen-âge qu’on ne le pense d’ordinaire. La chevalerie n’est pas seulement une institution ; c’est un fait moral et social immense, c’est tout un ordre d’idées, de croyances, c’est presque une religion. La chevalerie est née de l’alliance du christianisme avec certains sentimens terrestres de leur nature, mais élevés et pénétrés de l’esprit chrétien. Ayant prise sur les ames par ces sentimens naturels qu’elle respectait, mais qu’elle épurait et qu’elle exaltait, elle a lutté avec avantage contre la barbarie, contre la violence des mœurs féodales ; elle a fait énormément pour la civilisation intérieure, pour ce qu’on pourrait appeler la civilisation psychologique du moyen-âge. Aussi les idées,

  1. Les publications importantes que prépare M. de La Villemarque restreindront peut-être cette assertion.