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la décadence, commence à Philippe-le-Bel et expire dans les troubles et l’agonie du XIVe siècle.

La littérature elle-même suit un mouvement pareil, et offre trois périodes correspondantes aux trois périodes historiques que je viens d’indiquer. Dans la première, qui est la période héroïque, on trouve les chants rudes, simples, grandioses, des plus vieilles épopées chevaleresques ; en particulier, la Chanson de Roland. On trouve Villehardoin au mâle et simple récit. La seconde, plus polie, plus élégante, est représentée par celui qui en est l’historien, ou plutôt l’aimable conteur, Joinville ; c’est le temps des fabliaux, c’est le temps où naissent les diverses branches du Roman de Renart, c’est-à-dire ce que la littérature française a produit de plus achevé, comme art, au moyen-âge. La troisième est une ère prosaïque et pédantesque ; à elle la dernière partie du Roman de la Rose, recueil de science aride, dans lequel il n’y a de remarquable que la satire, la satire toujours puissante contre une époque qui approche de sa fin. Au XIVe siècle, la prose s’introduit dans les romans et dans les sentimens chevaleresques, l’idéal de la chevalerie décheoit et se dégrade ; enfin, cette chevalerie artificielle, toute de souvenirs et d’imitations, dont l’ombre subsiste encore, reçoit un reste de vie dans la narration animée, mais diffuse et trop vantée, de Froissart.

Aux trois phases littéraires, on pourrait faire correspondre trois phases de l’architecture gothique : celle du XIIe siècle, forte, majestueuse ; celle du XIIIe, élégante, et qui s’élève au plus haut degré de perfection ; et, enfin, celle du XIVe siècle, surchargée d’ornemens et de recherche.

Après avoir déterminé, dessiné, pour ainsi dire, le contour de la littérature française au moyen-âge, et en avoir esquissé les principales vicissitudes, je vais présenter une vue rapide de ses antécédens, de ses rapports avec la littérature étrangère contemporaine, et enfin, de ce qui la constitue elle-même, des grandes sources d’inspiration qui l’ont animée et qui lui ont survécu.

La littérature française du moyen-âge n’a guère que des antécédens latins. Les poésies celtique et germanique n’y ont laissé que de rares et douteux vestiges ; la culture antérieure est purement latine. C’est du sein de cette culture latine que le moyen-âge français est sorti, comme la langue française elle-même a émané de la langue latine. Il est curieux de voir les diverses portions de notre littérature se détacher lentement et inégalement du fond latin, selon qu’elles en sont plus ou moins indépendantes par leur nature respective.