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GABRIEL.

nous appeler le prince de Bramante ? Mon petit prince, garde ton titre, garde ton héritage, je n’en veux à aucun prix ; et si le vieux Jules trouve dans sa tortueuse cervelle quelque nouvelle invention cachée pour t’en dépouiller, console-toi de n’être qu’une femme, pauvre, inconnue au monde, cachée, mais riche de mon amour et glorieuse à mes yeux.

GABRIELLE.

Crains-tu que cela ne me suffise pas ?

ASTOLPHE, la pressant dans ses bras.

Non, en vérité ! je n’ai pas cette crainte. Je sens dans mon cœur comme tu m’aimes.


QUATRIÈME PARTIE.

Scène PREMIÈRE.


Dans une petite maison de campagne isolée au fond des montagnes. — Une chambre très simple, arrangée avec goût. Des fleurs, des livres, des instrumens de musique.
GABRIELLE, seule.
(Elle dessine et s’interrompt de temps en temps pour regarder à la fenêtre.)

Marc reviendra peut-être aujourd’hui. Je voudrais qu’il arrivât avant qu’Astolphe fût de retour de sa promenade. J’aimerais à lui parler seule, à savoir de lui toute la vérité. Notre situation m’inquiète chaque jour davantage, car il me semble qu’Astolphe commence à s’en tourmenter étrangement… Je me trompe peut-être. Mais quel serait le sujet de sa tristesse ? Le malheur s’est étendu sur nous insensiblement, d’abord comme une langueur qui s’emparait de nos ames, et puis comme une maladie qui les faisait délirer, et aujourd’hui comme une agonie qui les consume. Hélas ! l’amour est-il donc une flamme si subtile, qu’à la moindre atteinte portée à sa sainteté il nous quitte et remonte aux cieux ? Astolphe ! Astolphe ! tu as eu bien des torts envers moi, et tu as fait bien cruellement saigner ce cœur, qui te fut et qui te sera toujours fidèle ! Je t’ai tout pardonné, que Dieu te pardonne ! Mais c’est un grand crime d’avoir flétri un tel amour par le soupçon et la méfiance, et tu en portes la peine, car cet amour s’est affaibli par sa violence même, et tu sens chaque jour mourir en toi la flamme que tu as trop attisée par la jalousie. Malheureux ami ! c’est en vain que je t’invite à oublier le mal que tu nous as fait à tous