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ment, les chevaux, les bestiaux, les viandes fraîches et salées, les légumes, les grains, et de ces prohibitions résultait une perte de deux millions par année pour les départemens du midi, aux réclamations desquels M. Thiers lui-même avait été obligé de céder sur ce point. Il rendit, en effet, le blocus moins sévère, et modifia l’ordonnance du 3 juillet 1835. Les bâtimens de nos stations étaient au nombre de douze, ils avaient ordre d’aider de tous leurs efforts aux constitutionnels, sans coopération armée toutefois. Deux corps de troupes à l’état de rassemblement, quatorze brigades de gendarmerie, et une légion de douaniers, cernaient la frontière des Pyrénées. Que fait de plus le ministère actuel ?

Il parle vivement en faveur de l’Espagne ; mais nous n’avons jamais entendu M. Molé parler contre l’Espagne. Il niait seulement la convenance d’aller en Espagne consolider, par nos armes, la politique du gouvernement de la reine, et il prononçait ces paroles, en 1837, à la chambre des députés : « Henri IV, messieurs, disait à Sully qu’un roi de France ne devait jamais recourir à des baïonnettes étrangères ; ajoutons, croyez-moi, qu’aucun peuple ne leur devra jamais ses institutions et sa liberté. » Quel est, nous le demandons, le langage le plus libéral et le plus élevé, celui de M. Molé ou celui de M. Dufaure ?

Le cabinet du 15 avril n’a pas fait assez pour l’Espagne, au gré de M. Dufaure qui ne fait et qui ne fera rien de plus ? Voyons encore les faits. Pouvait-on intervenir, même si on l’avait voulu ? À une autre époque que celle du ministère du 15 avril, en juin 1835, le gouvernement de la reine Christine réclama, il est vrai, l’assistance militaire de la France. La France consulta l’Angleterre son alliée, avec laquelle il était obligatoire d’agir de concert. Les trois questions suivantes furent adressées au cabinet de Londres : « Y a-t-il lieu à déférer à la demande d’une intervention ? L’Angleterre y coopérera-t-elle ? L’Angleterre verra-t-elle dans une intervention un casus fœderis, c’est-à-dire une juste application des traités du 22 avril et du 18 août 1834 ? L’Angleterre répondit à ces trois questions de la manière la plus négative. Pendant un an, la politique du cabinet anglais fut toujours la même ; il refusa d’intervenir et de reconnaître à la France le droit d’intervenir seule. Ce ne fut qu’en 1836, au mois de mars, que le gouvernement anglais annonça à notre ambassadeur, à Londres, que le moment lui semblait arrivé de débarquer des soldats de marine, pour défendre les places maritimes de l’Espagne, menacées par les carlistes, et il invitait, en conséquence, la France à prendre part à la coopération, en occupant le fort du Passage, Fontarabie et la vallée de Bastan. M. Thiers, que les ministres actuels ont écarté des affaires, sous prétexte qu’il était trop prononcé pour la coopération, en même temps qu’ils cherchent à gagner les partisans de M. Thiers, en s’échauffant à froid pour l’Espagne, M. Thiers refusa. M. Thiers ne se montra pas seulement modéré et prudent en cette circonstance, M. Thiers se montra politique profond. Sa dépêche, datée du 18 mars 1836, est un chef-d’œuvre. Il établit, avec la plus haute raison, que toute coopération de ce genre mènerait infailliblement à l’intervention la plus directe ; que l’intervention serait sans but, sans dignité, si