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été surtout fréquenté par les Anglais, qui y ont fait des établissemens considérables. On n’y payait jusqu’à présent que deux pour cent au profit des gardiens des magasins, et jusqu’à la frontière de Perse les marchandises n’étaient soumises à aucun droit. Le commerce de Trébizonde, fait principalement par l’Angleterre, s’élevait, il y a deux ans, à vingt-cinq millions de francs. C’est encore l’Angleterre qui approvisionne la Perse, l’Anatolie, et une partie de l’Asie centrale, de draps, d’indiennes, de papier, de sucre, de café, de verreries, de porcelaines et d’objets d’acier. Une seule caravane, partie de Tauris en 1834, était de six cent cinquante chameaux. Il est vrai qu’elle fut en partie pillée par les Kourdes. Il est également vrai que le port de Trébizonde est dangereux durant six mois de l’année, et que depuis le mois de septembre jusqu’au mois d’avril les bâtimens sont forcés de jeter l’ancre dans une anse mal abritée des vents ; mais le commerce a ses périls, et l’Angleterre fera l’impossible pour conserver l’usage libre de ce port, à peine abrité, ainsi que de cette dangereuse route, infestée par les Kourdes.

L’Angleterre conservera long-temps de grands avantages sur la Russie par l’excellence et le bon marché de ses produits ; mais la Russie a déjà reconnu que ses mesures restrictives ont augmenté l’importance du commerce anglais, en même temps qu’elles ont privé le commerce russe du bénéfice du transit, et elle a modifié ses dispositions. De plus, elle améliore chaque jour ses produits, en faisant venir d’Angleterre nos meilleures machines, qu’elle s’applique à imiter, et enfin elle cherche à s’attirer la prépondérance en Perse, dans un but tout commercial, et c’est ce qui nous inquiète le plus. Ajoutez, monsieur, que la Perse et la Russie ont un intérêt commun à pénétrer un peu avant dans le Turkestan et le Khiva, pour y mettre fin au commerce d’esclaves, qu’une expédition a même été déjà proposée par la Russie à la Perse dans ce dessein, et vous ne douterez plus que nous n’ayons quelque sujet d’être ombrageux en ce qui nous concerne au-delà de Constantinople et de la mer Noire. Je sais que l’industrie russe ne fait que naître ; mais il y a dix ans qu’elle marche d’un pas rapide, et dix ans de progrès semblables laisseront bien peu à faire. La Russie, comme le disait un de vos écrivains, M. de Bonald, est en ce moment dans des conditions convenables pour faire de grandes choses, car elle offre la réunion d’un gouvernement éclairé et d’un peuple barbare ; et j’ajoute qu’elle a affaire à des états qui sont, non pas dans des condi-