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LETTRES POLITIQUES.

coup pour gagner peu de chose. On ne peut comparer ces négocians boukhares qu’aux marchands russes qui sont esclaves, et qui vont commercer à Kiachta, sur les frontières de la Chine. C’est la même audace, la même intelligence, sous la même apparence de rudesse, de simplicité.

Ce ne sont donc pas les Russes qui pénètrent dans l’Asie centrale, mais leurs marchandises ; ce sont également les marchandises anglaises qui traversent l’Inde pour se rendre dans cette contrée, mais les Anglais ne dépassent jamais leurs frontières, et le voyage de M. Burnes nous prouve qu’ils ont raison. C’est donc, comme je vous le disais, une guerre de ballots et non une guerre d’hommes qui se prépare dans l’Asie centrale. La guerre qui se fait sourdement aujourd’hui n’a lieu que pour frayer la route à ces ballots. Il est vrai qu’à cette question se lie, à Constantinople, une question de politique plus directe, puisqu’il s’agit là de l’influence que la Russie cherche à acquérir depuis Pierre-le-Grand dans la Méditerranée. Il s’ensuit que, pour l’Angleterre et la Russie, la question est double, tandis qu’elle n’est qu’une pour les autres puissances maritimes, telles que la France. C’est vous dire assez franchement, monsieur, que, dans cette question de l’Orient, vous êtes en droit de ne suivre l’Angleterre que jusqu’à moitié chemin, c’est-à-dire jusqu’à Constantinople, où doit être maintenu l’empire ottoman, et que, passé Erzeroum et la Perse, c’est affaire entre les Russes et les Anglais.

Je vous ai parlé des quatre routes commerciales de la Russie vers l’Asie centrale ; nous en avons un nombre égal, — par le cap de Bonne Espérance, — par Trébizonde et la Perse, — par la mer Rouge et l’isthme de Suez — et par le golfe Persique. Une de ces routes est à peu près abandonnée, et vous savez quels efforts nous tentons depuis quelque temps pour l’ouvrir de nouveau. Ces efforts sont motivés par ceux des Russes, et dus aux nouvelles idées qui se sont répandues en Angleterre au sujet du commerce de l’Asie. Nous avons long-temps méprisé, en Angleterre, le commerce des caravanes. En regardant nos navires de la compagnie des Indes, qui sont en général de douze cents tonneaux, et qui portent en conséquence vingt-quatre mille quintaux et soixante hommes d’équipage, le transport par chameaux nous semblait bien mesquin. Un chameau ne porte pas plus de six quintaux, il faut un homme au moins pour conduire dix de ces animaux ; ainsi la cargaison d’un seul bâtiment de la compagnie des Indes exigerait une caravane de quatre mille chameaux et de quatre cents conducteurs. C’est fort bien, mais nos marchan-