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épisodes les moins intéressans. Quant à l’officier anglais, il passait alors pour un Hindou, et, sous ce titre, il échappa à tous les dangers qui le menaçaient. Il commença seulement à respirer à Meched, qui est la limite du pays occupé par les Turcomans nomades, et il put gagner de là Astrabad, sur la mer Caspienne, en passant par les montagnes et les défilés où s’exercent les brigandages des féroces Alamans. Le meilleur moyen de vous rendre compte de ce trajet, monsieur, est d’ouvrir la carte où le lieutenant Burnes a tracé, au moyen d’une ligne rouge, la route qu’il a suivie. En prenant un compas, et en fixant l’une de ses pointes sur Lahor, vous n’aurez qu’à le faire tourner, en traçant une circonférence, pour vous assurer que la distance de Lahor à Astrabad, sur le bord de la mer Caspienne, est plus que double de la distance de Lahor à Haïderabad, près de l’Océan indien. Quant aux difficultés de ce trajet, vous les connaissez maintenant : d’un côté, pour les Anglais, l’Indus à remonter, à travers des populations défiantes et belliqueuses ; de l’autre, pour les Russes, le grand désert à traverser, ainsi que la Boukharie ou l’Afghanistan. Voilà, monsieur, de terribles voyages, des espaces effrayans, et vous conviendrez que, si nous devenons ennemis de ce côté, les Russes et nous, ce ne sera par le motif de proximité, qui fait aussi souvent qu’on devient amoureux, comme le disait votre spirituel Benjamin Constant.

Vous allez sans doute me demander comment se font les importantes communications de l’Angleterre et de la Russie avec l’Asie centrale. Il y a eu de tout temps, monsieur, des marchands de l’Asie centrale qui sont allés chercher des produits étrangers, et exporter des marchandises du pays, en Égypte, en Perse, et dans les pays voisins de la mer Caspienne. Ce commerce de caravanes est de toute antiquité, et dans les grottes sépulcrales de l’Heptanomide ou de l’Égypte moyenne, on trouve encore des peintures qui représentent des caravanes de Namou, conduisant des animaux chargés de marchandises. Les hiéroglyphes indiquent expressément que ce sont des marchands, et on ne peut douter que ce ne soient les aïeux des marchands qui font encore le commerce extérieur de cette partie de l’Asie. J’ai vu moi-même nombre de ces marchands boukhares, et je les ai fréquentés pendant quelque temps. Vous ne pouvez vous figurer la patience, la sobriété, la persévérance, le courage et l’ardeur commerciale de ces gens-là. Dans l’espoir du moindre bénéfice, ils parcourent des distances dont vous seriez effrayé, et ils ont surtout la première des qualités des marchands, qui est de savoir risquer beau-