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LETTRES POLITIQUES.

par un grossier morceau de corde, et en marchant pieds nus, comme il est ordonné à tous ceux qui n’ont pas l’honneur d’appartenir à la secte des sunnites. C’est avec ces avantages que voyagent dans l’Asie centrale les officiers de notre nation. On intima à celui-ci l’ordre de s’abstenir de l’encre et de la plume, de fumer, de boire du vin, d’aller à cheval dans la ville, de fréquenter les esclaves, moyennant quoi on lui permit de se reposer quelque temps à Boukhara. Il écrivait la nuit, à tâtons, accroupi sur sa natte et le corps entièrement couvert de son manteau !

Lisez, monsieur, lisez le récit que ce voyageur a ainsi tracé de ses souffrances et de ses périls ; suivez-le depuis Boukhara jusqu’à la frontière de la Perse, à travers le pays des Turcomans, le long de l’Oxus, dans ces terribles déserts où l’on souffre à la fois d’un froid semblable à celui de la Russie et d’une chaleur aussi brûlante que celle de l’Inde. Passez avec lui l’Oxus sur une étendue de glaces de deux mille pieds, et bientôt vous arriverez à l’extrémité de la Boukharie, où cesse toute civilisation et commence le grand désert, dont la solitude n’est troublée que par quelques bandes de brigands turcomans qui vont vendre de malheureux esclaves, russes et persans, à Boukhara. Notre jeune compatriote rencontra une expédition semblable dès son entrée dans ce désert, et il rapporte cet incident d’une manière touchante. — « Ces esclaves étaient persans, dit-il. Cinq d’entre eux étaient enchaînés ensemble, et s’avançaient au milieu des sables amoncelés. Un cri général de compassion s’éleva de notre caravane, quand elle passa devant ces pauvres misérables, et notre empathie ne manqua pas d’affecter ces infortunés. Ils poussèrent un cri et lancèrent un regard de regret quand les derniers chameaux de la caravane, allant dans leur patrie, se trouvèrent près d’eux. Celui que je montais faisait partie de l’arrière-garde. Je m’arrêtai pour écouter les tristes récits de ces captifs. Ils avaient été pris par les Turcomans à Ghaïn, peu de semaines avant, au moment où la culture de leurs champs les avait fait sortir de leurs maisons. Je leur donnai tout ce que je pus, un melon ; c’était bien peu de chose, mais il fut reçu avec gratitude, car les Turcomans ne leur fournissent de l’eau et des alimens qu’en petite quantité, afin que la faiblesse les empêche de s’enfuir. » — Dans la caravane même dont le voyageur faisait partie, se trouvaient quelques Persans qui avaient vécu en esclavage dans le Turkestan, et qui s’en retournaient à la dérobée, après avoir racheté leur liberté. Ils faillirent plusieurs fois être repris, et leurs craintes, durant ce voyage, n’en furent pas un des