Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/117

Cette page a été validée par deux contributeurs.
113
LETTRES POLITIQUES.

présens. Les chevaux venaient d’Angleterre ; d’après le conseil de M. Burnes, on y ajouta le carrosse, qu’on fit faire à Bombay. Les émirs du Sindhi ont toujours montré une grande défiance des Européens, et ils n’ont jamais permis à aucun de leurs ambassadeurs de remonter l’Indus, ou de se rendre par terre au-delà de Haïderabad, qui n’est pas à une longue distance de son embouchure. Or, des chevaux et un grand carrosse doré avec les chevaux, ne pouvaient voyager par terre sans que les uns devinssent fourbus, et que l’autre ne fût grandement endommagé ; et quant à l’envoyé, il avait ordre de remettre les présens en personne. Nonobstant ces bonnes raisons, la lutte fut bien longue pour pénétrer dans l’Indus ; le grand navire qu’il avait fallu introduire dans le fleuve pour porter le grand carrosse, avait un fort tirant d’eau, et il n’avait pas été choisi sans dessein ; mais les agens des émirs en conçurent de l’ombrage, et il fallut presque livrer bataille pour pénétrer plus loin. L’envoyé, parvenu à une certaine distance, fut obligé plusieurs fois de redescendre le fleuve jusqu’à son embouchure ; mais il ne se rebuta pas, et se présenta chaque fois à une autre bouche, et ainsi il en étudia presque toutes les branches.

Vous ne pouvez vous figurer, monsieur, toutes les difficultés qu’éprouva ce pauvre jeune homme, même comme ambassadeur, et encore était-on bien loin de se douter que ce directeur d’un carrosse et de cinq chevaux était un habile ingénieur, muni de tous les instrumens nécessaires, chargé de reconnaître la profondeur des eaux de l’Indus, sa largeur, la direction de son cours, les facilités qu’il offre pour la navigation des bâtimens à vapeur, les qualités et la quantité de matières combustibles qui existent sur ses rives, ainsi que l’état des princes et des peuples qui vivent dans ces contrées, car telles étaient ses instructions. Il se présente à l’entrée du Gora, la bouche principale. À peine est-il à trente-cinq milles de la mer, que les soldats des émirs s’emparent de ses bâtimens, les visitent, et refusent de laisser passer outre le carrosse, qui leur semble une machine infernale, destinée à dévaster le Sindhi. On lui fait donc descendre l’Indus, défendu par quatre mille hommes, et on l’oblige à revenir au point de son départ, en lui expliquant dans le plus grand détail, et par écrit, l’impossibilité de naviguer sur l’Indus, où, lui dit-on, il ne peut passer que des barques, sans mâts ni voiles, et où, en beaucoup d’endroits, l’eau n’atteindrait pas au genou d’un homme. L’Indus sans eau ! Ces gens-là se figuraient qu’eux seuls connaissaient l’Indus, et ils ignoraient qu’ils avaient parmi eux des traîtres qui nous avaient