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REVUE DES DEUX MONDES.

III.

Les bourgs étaient déserts ; des gens usés par l’âge
Ou des enfans erraient seuls dans chaque village ;
Partout les bras manquaient pour semer et planter,
Et les femmes enfin cessèrent d’enfanter.

IV.

Or, Bonaparte était le chef qui pour ses guerres
Enlevait sans pitié leurs fils aux pauvres mères :
On dit qu’en l’autre monde il est dans un étang,
Il est jusqu’à la bouche en un marais de sang.

V.

Lorsque ceux de Plô-Meûr pour ces grandes tueries
Furent marqués : « Le loup est dans nos bergeries.
« Dirent-ils en pleurant, soumettons-nous au mal
« Et tendons notre gorge aux dents de l’animal. »

VI.

Ils dirent au curé : « Nous partirons dimanche,
« Prenez pour nous bénir l’étole noire et blanche ; »
À leurs parens : « Mettez vos vêtemens de deuil ; »
Au menuisier : « Clouez pour nous tous un cercueil. »

VII.

Horrible chose ! on vit, traversant la bruyère,
Ces jeunes gens porteurs eux-mêmes de leur bière ;
Ils menaient le convoi qui pleurait sur leur corps,
Et, vivans, ils chantaient leur office des morts.

VIII.

Beaucoup de gens pieux des communes voisines
Étaient venus ; leurs croix brillaient sur les collines ;
Sur le bord du chemin quelques-uns à genoux
Disaient : « Allez, chrétiens ! nous prîrons Dieu pour vous. »