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LITTÉRATURE ANGLAISE.

connue dans les portraits satiriques de l’auteur ; les Anglais ne peuvent y voir que de la malice sans grace et du lieu commun sans style. D’Israëli jeune, Grattan jeune, Théodore Hook, Galt, Bulwer lui-même, ont beaucoup mieux décrit ces ridicules de la société anglaise ; ils ont mis plus de vérité et moins d’âpreté dans leurs tableaux ; ils ont esquissé des silhouettes plus vraies, et ne sont pas tombés dans l’exagération que lady Bulwer se permet.

Il y a cependant quelque éclat dans le fiel dont elle détrempe ses couleurs. Elle déclame plus amèrement que ne pourrait le faire une Anglaise d’origine ; le mauvais style de son pamphlet, qui écorche tour à tour très audacieusement le français, l’italien et le vieux saxon, donne une vie assez originale aux portraits qu’elle trace. Voici son vieux whig, l’ami de Fox, le héros de l’ancienne école libérale anglaise : « C’était, dit-elle, un libéral de la souche primitive, fidèle jusqu’au bout aux bottes à revers, au groom en livrée et au spencer par-dessus l’habit. Vous le trouviez aussi souvent à la fenêtre du club que chez lui, et son ménage était bien le type du vrai ménage whig. Le coulage de sa maison, la misère de son luxe mal dirigé, le ruinaient sans honneur ; et cela lui importait très peu, pourvu que l’on regardât son hôtel comme étant à la mode et son salon comme agréable. Quand on s’est grisé avec Sheridan, qu’on a discuté avec Fox, et qu’on a écrit des sonnets à la duchesse de Devonshire, il n’y a pas moyen de ne pas s’estimer infiniment. C’était ce que faisait M. Neville. Sa vogue d’autrefois, parvenue à l’état de momie, lui semblait néanmoins incontestable ; il s’adorait. L’intérieur de sa maison le représentait tout entier. Tapis fanés, rideaux flétris, passementeries usées, vieilles ottomanes de couleur chamois, avec des grecques pour bordures ; fauteuils grecs, peints en blanc et ornés de bois doré ; petites cheminées étroites avec des feux imperceptibles ; candélabres de forme arriérée, aux chaînettes suspendues et aux ornemens passés ; valets sans poudre, mal chaussés, mal tenus, en culottes de nankin, avec des boucles en argent ; sommelier au gilet de daim et au pantalon gris-de-fer ; salle à manger obscure, aux rideaux rouges, aux tables mal cirées, aux chaises de maroquin rouge. C’était l’exacte copie d’un intérieur whig à l’époque où Napoléon levait des armées et où William Pitt levait des taxes. Whig dans la vie privée comme dans la vie publique, il avait invariablement recours à son grand principe : les expédiens et les demi-mesures. Son chef était ivrogne, mais excellent cuisinier. Comment s’y prit-il ? Il lui donna carte blanche après dîner seulement ; mais, avant le dîner,