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gères, à s’accoutumer au joug, à se ployer au lacet, à vivre sous l’étiquette anglaise. La pauvre reine Charlotte ne fut pas moins embarrassée, lorsque, au sortir de sa Germanie sentimentale et pleine d’indulgence pour les erreurs des cœurs faibles, elle vint habiter Carlton-House. Lady Bulwer n’en veut pas seulement à son infidèle, mais à tout le monde ; elle trace des caricatures de l’ancienne noblesse, de la nouvelle noblesse, du frère de Bulwer (le diplomate Henry), des élections, des électeurs, des gens de province, des lions, des lionnes, des colonels, des gens de lettres, des hommes politiques. Elle fait moisson de tout cela, et ce serait une très piquante satire, si l’exécution répondait à l’intention, et si elle avait le quart du talent que comportait sa malice. Mais le décousu et la mauvaise humeur gâtent presque toutes ses pages. Cette vie domestique brutalement esquissée, ces peintures grossières de la réalité, ne touchent et n’intéressent pas. La main de l’artiste manque partout ; on n’a d’estime pour aucun acteur ; les continuelles médisances dont le livre est rempli piquent médiocrement la curiosité. Que nous importe, après tout, que lord Clifford (ou M. Bulwer) ait été un mari sourcilleux et dur, que son frère ait joué dans la famille un rôle inférieur et comique, que la gouvernante de miss Bulwer ait eu des charmes pour le père de sa pupille ? Au romancier comme au peintre, nous demandons qu’il nous plaise et nous séduise ; nous nous soucions peu du reste. Lady Bulwer a cru exercer une vengeance terrible ; j’ai peur que son arme d’attaque n’ait éclaté entre ses mains ; c’est elle qui est la plus dangereusement blessée dans cette escarmouche de ménage. On savait très bien que la vie de son mari était mêlée d’amour et d’intrigues ; on ne regardait pas comme un être parfaitement pur celui qui nageait si violemment à travers toutes les agitations de la politique, tous ses cahots, toutes ses trames, toutes ses déceptions, jointes au fracas de la presse et de la littérature militante. Ainsi, le livre de cette lady mécontente ne soulève aucun voile et ne détruit point de masque. Que nous apprend-elle ? Qu’elle méprise la société anglaise, qu’on y trouve une foule d’idiots gourmés, de sottes prétentions, de douairières corrompues, de dandies imbéciles, et de bourgeois crédules. Ce n’est pas assez de nous dire cela ; la race des sots est immortelle, infatigable, prolifique ; chaque pays a ses variétés en ce genre ; sans doute, nul ne doit prendre la plume pour donner au monde une instruction si peu nouvelle. Faites un bon livre ; c’est tout ce qu’on veut de vous. Pour nous autres étrangers, il y a quelque attrait de malice et de recherche in-