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aujourd’hui, les machines, en tirant un si bon parti des étoupes, qui étaient auparavant presque rejetées comme matières de rebut, ont elles-mêmes augmenté, d’une manière inattendue, les ressources de la production. C’est cette dernière circonstance qui explique comment, malgré le développement si rapide de la fabrication, la culture du lin et du chanvre est demeurée comparativement presque stationnaire.

Nous avons dit que c’est principalement de la Russie, et ensuite de la Hollande et de la Belgique, que l’Angleterre tire ses matières brutes. En effet, sur une quantité totale de 1,000,025 quintaux, tant de lin brut que d’étoupe de lin et de chanvre, qu’elle a reçue en 1837, 682,025 quintaux sont provenus de la Russie, 134,916 de la Hollande, et 118,298 de la Belgique. La France n’a figuré dans cette importation que pour une quantité de 89,557 quintaux, et encore a-t-on compris dans ce chiffre ce qui a été expédié par son territoire en transit[1]. Il semble donc que la Russie soit destinée à faire, pour la manufacture du lin et du chanvre, ce que les États-Unis ont fait pour la manufacture du coton. Il en est ainsi jusqu’à présent. Nous croyons cependant la Russie incapable de soutenir jusqu’au bout un pareil rôle. Ce n’est pas dans un pays gouverné despotiquement, écrasé par une aristocratie dévorante, et cultivé par des mains asservies, qu’on peut voir se renouveler le prodige dont la terre libre de l’Union américaine a donné le spectacle au monde.

Oserons-nous hasarder sur ce sujet une conjecture ? Il ne serait pas impossible qu’une seconde fois les États-Unis vinssent apporter à l’Angleterre et à l’Europe un secours inespéré. En 1837, ce pays n’a expédié à l’Angleterre que la faible quantité de 5,347 quintaux de chanvre brut. Ses expéditions en lin, dont nous n’avons pas trouvé le chiffre dans les états de la douane, n’ont pas été probablement plus considérables. La production américaine est donc aujourd’hui presque insignifiante à cet égard. Mais en 1825, les États-Unis n’avaient expédié en Angleterre qu’un seul quintal de chanvre, en 1829, 234 quintaux, en 1833, 1,241, et en 1835, 3,157. On voit que ces expéditions si peu importantes en elles-mêmes s’accroissent au moins de jour en jour. La production du coton est devenue, contre toute apparence, l’apanage des états du sud et de l’ouest de l’Union américaine : il ne faut pas jurer que la production du lin et du chanvre n’y deviendra pas, dans la suite, l’apanage des états du nord. Espérons toutefois qu’à cet égard l’Europe conservera ses droits.


Ch. Coquelin.
(La fin au prochain no .)
  1. M. le ministre des finances disait, il y a quelques jours, à la chambre des pairs, en se fondant sur quelques faits plus récens, que la somme de nos exportations pour l’Angleterre, en lin brut, tend à s’accroître d’une manière sensible. Nous croyons que M. le ministre se trompe, et nous essaierons de le prouver