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sont incontestables et annoncent qu’il ne s’arrêtera pas dans la route nouvelle qu’il vient de se tracer. Ses tableaux attestent des études sérieuses, et des réflexions justes et profondes, sur le véritable but de l’art.

Comme autrefois, c’est avant tout l’expression qu’il cherche ; mais les moyens qu’il emploie aujourd’hui sont plus légitimes, et surtout plus puissans. Ce n’est point en indiquant une situation dramatique qu’il cherche à produire une impression sur le spectateur, à l’imagination duquel il s’en rapporte pour suppléer au vague de l’exécution ; ce n’est plus, comme autrefois, l’esprit du peintre qui s’adresse à celui du spectateur. Maintenant M. Scheffer restreint ses compositions, mais il les complète ; il s’adresse aux yeux, comme un peintre doit le faire. Il sait rendre la forme extérieure de la pensée, et son pinceau l’explique sans rien laisser de sous-entendu. En un mot, ce ne sont plus des esquisses qu’il fait, mais bien des tableaux.

C’est un malheur pour les peintres de notre époque, et surtout pour les peintres français, que leurs rapports intimes avec les gens de lettres. Mais le moyen qu’il en soit autrement ? Maintenant qu’il n’y a plus de grands seigneurs, les gens de lettres sont, pour les artistes, des Mécènes, des juges, des conseillers. On n’en peut douter à voir la tendance toute dramatique de la nouvelle école. Le dramatique est ce que les gens de lettres comprennent le mieux dans les arts et le public aussi. Aujourd’hui, on appelle un sujet heureux, celui qui fait voyager l’imagination du spectateur sur toute la série des évènemens qui ont précédé ou qui suivent celui qu’on met sous ses yeux. C’est un drame tout entier qu’on lui raconte, non une scène détachée et complète. Dans ce système, la peinture n’est, à vrai dire, que de la littérature transformée. Ce n’était point ainsi que les maîtres l’avaient comprise. Moins recherchés et presque indifférens dans le choix de leurs sujets, ils se sont attachés, avant tout, à plaire aux yeux par l’heureuse disposition de leurs groupes, par la vérité des attitudes, la beauté des formes, le naturel des expressions. Laissant à la poésie les ressources qui lui sont propres, ils se sont contentés de celles que leur art pouvait leur offrir. J’illustrerai ces observations par un exemple. — Van-Dyk place dans sa toile Charles Ier, avec son cheval, son écuyer, sa canne, son costume ordinaire. Voilà un magnifique tableau de l’école ancienne. M. Delaroche fait un Cromwell (et je cite ce tableau de préférence, parce qu’il me semble un des meilleurs de l’école moderne) ; ce n’est pas assez pour lui de peindre sa figure, son costume, de jeter harmonieusement la lumière sur son personnage. S’emparant de la plus suspecte de toutes