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ment des Russes à Constantinople, elle perd une véritable frontière maritime. Pour l’Europe, elle avait trois boulevards contre la Russie : les principautés, la Pologne et l’empire turc. L’un est perdu, l’autre dominé ; que deviendra le troisième ?

J’aurais encore beaucoup à dire sur ce sujet, mon cher monsieur, mais je me trouve déjà bien long. Je vous dois seulement l’explication de quelques mots que j’ai dits au commencement de cette lettre, et la voici. Appliquant un peu la méthode d’Herschell, celle de Mathieu Laënsberg, si vous voulez, aux évolutions des astres politiques, j’ai cru pouvoir avancer que ce qu’on est convenu d’appeler le statu quo en Orient, pourrait bien durer, à force de soins, deux ans, mais non pas plus. Ma raison est, monsieur, que le traité d’Unkiar-Skelessi a été signé le 9 juin 1833, il y a juste, à cette heure où j’écris, six ans, et je vous prie de croire que je n’ajouterai rien à ma table aujourd’hui pour fêter cet anniversaire. Or, ce fameux traité n’est composé, quant à sa partie officielle, que de cinq petits articles.

Par le premier, leurs majestés l’empereur de toutes les Russies et l’empereur des Ottomans se promettent l’assistance la plus efficace pour assurer leur tranquillité et sûreté respectives.

Par le second, le traité d’Andrinople, la convention de Saint-Pétersbourg du 14 avril 1830, et l’arrangement du 21 juillet 1832, relatif à la Grèce, sont compris dans le nouveau traité.

L’article troisième et le suivant mettent à la disposition du sultan les forces de terre et de mer de la Russie, quand il lui semblera nécessaire de les requérir.

Enfin le cinquième article fixe la durée du traité à huit ans ; et un article additionnel porte que, pour éviter à la sublime Porte la charge et les embarras qui résulteraient pour elle d’un secours matériel, son action devra se borner, en faveur de la cour impériale de Russie, à fermer le détroit des Dardanelles, — c’est-à-dire à ne permettre à aucun bâtiment étranger d’y entrer sous aucun prétexte quelconque. — Je cite les termes du traité.

La situation des puissances européennes, et particulièrement de l’Angleterre ainsi que de la France, est donc celle-ci : si leur diplomatie prend de l’influence à Constantinople d’ici à deux ans, la Russie aura, d’ici là, intérêt à voir la Turquie attaquée par quelqu’un, afin de lui porter secours, ou elle aura intérêt à être elle-même en guerre avec une puissance navale, pour obliger la Porte ottomane à fermer les Dardanelles. Et remarquez, monsieur, que j’interprète le traité de la façon la moins défavorable aux puissances autres que la