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LETTRES POLITIQUES.

Riga jusqu’à Astrakan, aurait une partie de ses forces de terre à la disposition de ses volontés ! Il n’est pas de paquebot anglais qui ne répande, sous le cachet du four-pence timbre, ces alarmes dans toute l’Europe, et je suis trop loyal Breton pour chercher à les calmer. Il est vrai cependant que, de son côté, la Russie a quelques bonnes raisons à donner à ses alliés, et qu’elle peut leur faire comprendre que son nouvel établissement maritime lui permettrait de mieux surveiller les mouvemens révolutionnaires de la France, et de marcher au besoin, sans traverser l’Allemagne, « par Constantinople sur Paris, » comme l’a dit un jour innocemment un journal russe ou moldave. À coup sûr, monsieur, je suis un rapporteur charitable, et je ne dissimule les raisons ni les projets de personne. Quant à ceux que peut avoir la France, si vous les connaissez, je vous serai sincèrement obligé de m’en informer.

J’ai bien lu dernièrement, dans un de vos meilleurs journaux, un judicieux examen des affaires d’Orient, qui se terminait par la proposition de former une confédération orientale, composée de tous les états secondaires, où figureraient quelques parties détachées de l’empire turc, avec la Grèce et l’Égypte. Le plus court séjour en Orient vous démontrerait bien vite l’impossibilité et le romantisme de ce projet. L’empire turc n’a subsisté jusqu’à ce jour que parce qu’il a été seul ; et en cela il a un rapport très intime avec l’empire russe, qui n’a acquis son unité que depuis le temps où Pierre-le-Grand s’est fait le chef de l’église. Or ce titre de commandeur des croyans, de chef de la religion, le grand-seigneur en est investi depuis des siècles. C’est à l’aide de cette force que les sultans ont maintenu leur pouvoir despotique, et c’est par cette seule influence de son isolement au-dessus de tous, que Mahmoud est parvenu à obtenir l’obéissance de ses sujets même aux idées de réforme si opposées à l’esprit de la religion. Cette unité, qui est dans tous les esprits musulmans, serait bientôt détruite, si le maître de l’empire n’était plus que le membre le plus influent d’une confédération politique, et une sorte d’empereur d’Allemagne. Ce serait affaiblir l’islamisme, qui est encore bien puissant, quoi qu’en disent ceux qui jugent des populations turques par celle de Constantinople ; et l’islamisme peut seul lutter contre l’unité religieuse des Slaves, placée dans la personne du czar. Il me semble que ce peu de mots vous en dit assez pour vous montrer que, sous le rapport de l’organisation politique, la devise des Turcs doit être celle sous laquelle les révérends pères jésuites ont péri : Soyons tels que nous sommes, ou ne soyons pas.