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taxes, dépeuplée par des levées continuelles, est prête, au contraire, à se soulever contre le pacha, qui épuise ses états pour entretenir sa flotte, et que l’Orient, où l’on commence à raisonner, regarde comme un des plus grands obstacles à sa tranquillité. Bref, le pacha n’est pas, comme vous croyez, le maître absolu d’aller camper dans le grand cimetière de Scutari, et de menacer, de la mosquée du sultan Sélim, la pointe du sérail, si les Russes ne l’arrêtent en chemin. Il faudrait livrer d’abord deux ou trois batailles, et Allah seul sait qui les gagnerait.

L’Égypte du pacha a été l’objet de l’enthousiasme français comme l’ont été les nouvelles républiques de l’Amérique, comme l’a été la Grèce, comme le serait peut-être demain la Turquie, si les Russes la menaçaient sérieusement. Quant aux Anglais, leur tête est plus froide, et ils voient dans l’Égypte un point du globe qui n’est pas sans importance pour eux, par l’emploi qu’ils peuvent en faire dans leurs intérêts, et par l’emploi qu’on peut en faire contre eux. Mais l’Angleterre fait aussi quelquefois des fautes en politique, et elle a tout-à-fait oublié son rôle le jour où elle a signé le traité du 6 juillet 1827, qui a amené celui d’Andrinople, Il est vrai que la France a répondu à cette faute en prenant le parti du pacha, ou du moins, en refusant d’exiger sa soumission, et qu’elle a ainsi amené le traité du 8 juin. À nous deux, je ne parle ni de vous ni de moi, mais de nos pays respectifs, nous avons donc remis la Turquie toute garottée dans les mains des Russes. C’est à nous de l’en tirer maintenant. Y parviendrons-nous, et le voudrons-nous de bon accord ? C’est encore un de ces secrets d’avenir que nul ne sait. En attendant, l’Angleterre se met en règle le mieux qu’elle peut du côté de la logique. Tout ce qui parle et tout ce qui écrit en Angleterre avertit l’Europe de ce que l’Europe ne sait que trop bien, et lui montre le danger de laisser l’empire turc à la merci des Russes. À l’Autriche, nous montrons le Danube, qui lui deviendra inutile quand il ne mènera plus qu’à un lac russe, et l’impossibilité où elle sera de former des matelots dans les mers du Levant, quand la Russie sera maîtresse du Bosphore et intéressée à dominer la Méditerranée ! Prononcer ce nom de Méditerranée, c’est s’adresser à la France, qui ne serait pas assez forte, même unie à l’Angleterre, pour balancer une puissance maritime qui aurait à la fois la clé du détroit du Sund et celle du détroit des Dardanelles ! L’Angleterre aura assez à faire de défendre Malte et les îles Ioniennes, la France de faire respecter ses possessions d’Alger et de se fortifier du côté du Rhin ; car la Russie, couverte alors depuis