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vres de la chair, oubli de Dieu, souillure des ames, trouble des naissances, inconstance des mariages, empoisonnemens, sang et homicides, larcin et tromperie, orgies, sacrifices obscurs, veilles pleines de folie, hommes tués par la jalousie ou contristés par l’adultère… toutes choses confondues,… et une grande guerre d’ignorance que la folie des hommes appelle la paix[1] ! » il semble que ces traits des livres saints aient été écrits pour prophétiser et pour peindre le siècle des Césars. — Et d’un autre côté, « tous les fruits de l’esprit : la charité, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la longanimité, la douceur, la foi, la modestie, la tempérance, la chasteté[2] ; » les quatre caractères opposés aux quatre caractères de l’antiquité : la foi pure à l’idolâtrie, la charité à l’esprit de haine, la justice à l’homicide, la chasteté à la corruption ; voilà quelle guerre commence aujourd’hui !

Né en même temps que le christianisme, comme une inspiration du mal suprême pour combattre le suprême bien, le pouvoir des Césars fut satanique dans son essence. Ce trône d’où Néron s’entendit appeler dieu, et se proclama dispensateur des couronnes, me représente, si j’ose le dire, le pinacle du temple où Satan plaça le Sauveur, et d’où il lui fit voir tous les royaumes de la terre, en lui disant : « Tout ceci est à moi, et je te le donne si tu tombes à mes pieds et si tu m’adores. » Comme le Satan de Milton, qui porte en lui l’enfer tout entier, César, l’incarnation du mal, le Satan terrestre, porte sur sa tête une triple couronne d’orgueil, de danger et de remords, dont nul front ne fut plus étroitement ceint que celui de Néron. Son inquiétude et sa peur étaient gigantesques comme son pouvoir ; il se sentait, comme dit le poète, « appuyé sur des états chancelans, et sentait trembler sous lui le faîte d’où il voyait le monde à ses pieds ! » Le moment approchait où ses prétoriens allaient lui apprendre que « l’épée, une fois tirée, appartient au soldat et non au chef[3]. » Le monde le soutenait tout en le subissant ; pour que Néron tombât, le monde n’avait qu’à se retirer. Remarquez l’expression de Suétone et des autres historiens : « Après l’avoir souffert près de quatorze ans, le monde le quitta[4] ; » mot qui, vous allez le voir, raconte à lui seul la chute de Néron.

  1. Galat., V, 19 et suiv.Sapient., XIV, 22 et suiv.
  2. Galat., V, 22-23. — Sapient., XV, 5.
  3. Scit non esse ducis, strictos, sed militis, enses.

    (Lucain, Phars., V.)

  4. Suét., 40. — Tacit., Hist., i, 4. — Eutrope.