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LES CÉSARS.

par où la prêtresse recevait l’inspiration. Bizarre mélange d’audace et de crainte ! le sénat le félicite et le monde l’adore ; mais, lorsqu’il est venu à Éleusis et qu’il a entendu le héraut écarter de ces mystères, révérés encore, les impies et les scélérats, le matricide s’est humblement retiré sans oser demander l’initiation.

Il tourne les yeux vers l’Orient, dont les sciences occultes sont, pour ce siècle, un objet de craintive curiosité. Tiridate lui a amené des magiciens. La divination par l’air, par le feu, par les étoiles, par les haches, par les lanternes, l’évocation des morts, le colloque avec les enfers, il veut tout apprendre d’eux. Avec eux, il conjure l’ombre d’Agrippine, lui offre des sacrifices, immole des hommes à leurs expériences, curieux et ardent à cette étude[1], autant même qu’il le fut à celle du chant, tant il voudrait faire violence à la nature et s’élever au-dessus des lois de l’humanité ! Mais la magie n’est qu’une chimère ; son crime est de ceux que l’antiquité déclare inexpiables, et pour lesquels, en effet, elle ne sait pas d’expiation.

Ainsi, au suprême couronnement de cette société que j’ai montrée ayant pour base le droit absolu de l’homme sur l’homme et s’échelonnant ensuite de servitude en servitude, s’agite une perpétuelle orgie, les Sénécion, les Tigellin, les Poppée, le Triboulet de cette cour, le fou bossu Vatinius, toute la fastueuse valetaille du palais ; orgie vulgaire, si monstrueuse qu’elle soit, qui court la nuit, brisant les boutiques et insultant les femmes ; qui, assise sur des vaisseaux garnis d’or et d’ivoire, descend le fleuve en face d’un rivage semé de retraites infâmes et au milieu des appels de la débauche, ou, à la fin d’un souper de douze heures, se jette de main en main la hache sanglante qui gouverne le monde : — et au milieu d’elle, mais non au-dessus, — un personnage flasque et mal proportionné, au cou épais, à la peau tachetée, au ventre proéminent, aux yeux vert-de-mer, louches, clignotans et hagards, avec une coiffure étagée et relevée en chignon derrière la tête, des pantoufles aux pieds, une étoffe épaisse autour du cou, une longue robe de festin, lâche et toute parsemée de fleurs ; une femme en un mot : — Néron.

Tel est le monde romain, la consommation de toute l’antiquité : le culte des Césars est le dernier degré de l’idolâtrie, c’est-à-dire de l’adoration de l’homme et de l’adoration du mal : les mœurs de leur époque sont le dernier degré de l’impureté, de l’inhumanité et de la division, les trois grandes conséquences de l’idolâtrie. « Œu-

  1. Plin., XXX, 2. — Suét., 34.