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LES CÉSARS.

Si le peuple est logé avec tant de magnificence, que sera-ce de César ? Qu’est devenue maintenant la petite maison d’Auguste sur le mont Palatin, suffisante pour lui, indigne de ses successeurs ? Tibère y a ajouté un nouveau palais ; Caligula l’a conduite jusqu’au Forum ; Néron lui-même, l’agrandissant d’un autre côté, l’a menée jusqu’aux Esquilles, et a embrassé dans son enceinte les vastes jardins de Mécène. Mais aujourd’hui Rome a reculé autour du palais de Néron, et lui a laissé ses franches coudées pour s’embellir et pour s’étendre. À l’œuvre donc, merveilleux instrumens du génie de César, ministres de ce Jupiter, vous que ce dieu emploie à faire ses miracles, Sévérus et Celer, hommes de génie et d’audace, qui, « maniant comme un jouet la puissance impériale, obtenez par l’art tout ce que la nature voudrait refuser[1] ! »

Avec une promptitude incroyable, sur le mont Palatin, sur l’Esquilin et dans la vallée qui les sépare, vers le lieu où est située aujourd’hui Sainte-Marie-Majeure, la Maison dorée s’élève. En avant de la Maison dorée, un lac ; autour du lac, des édifices épars qui semblent une ville ; entre la façade et le rivage du lac, le vestibule où le maître de la maison fait attendre ses cliens, c’est-à-dire où Néron fait attendre tous les peuples du monde ; et au milieu, le colosse de Néron, haut de cent-vingt pieds[2], d’argent et d’or ; plus loin, des portiques longs d’un mille à triple rang de colonnes. À l’intérieur, tout se couvre de dorures, tout se revêt de pierres précieuses, de coquilles, de perles. Dans les bains, un robinet amène de l’eau de mer, un autre des eaux sulfureuses d’Albula. Le temple de la Fortune, construit avec une pierre nouvellement découverte, blanche et diaphane, semble, les portes fermées, s’illuminer d’un jour intérieur[3]. Les salles de festins, si multipliées et si particulièrement fastueuses dans les maisons romaines, ont des voûtes lambrissées qui changent à chaque service, des plafonds d’ivoire d’où tombent des fleurs, des tuyaux d’ivoire qui jettent des parfums ; d’autres, plus belles encore, tournent sur elles-mêmes jour et nuit, comme le monde. Mais ce seront les moindres grandeurs du palais de Néron. Voici des lacs, de vastes plaines, des vignes, des prairies, puis les ténèbres et la solitude des forêts, des vues magnifiques ; au sein de Rome et du palais, des daims bondissent, des troupeaux vont au pâturage. C’est le parc anglais dans toute sa magnificence ; et encore quel nabab de

  1. Tacit., Ann., XV, 40.
  2. Suét., In Ner., 31. — Plin., XXXV, 7.
  3. Tanquâm inclusâ luce, non transmissâ. (Plin., XXXVI, 22).