Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.
80
REVUE DES DEUX MONDES.

Restant dans le général, je dirai seulement : Quand on a une lyre, et une telle lyre, pourquoi donc à plaisir la briser, ou la défaire en la voulant étendre à l’infini ? La lyre première de Lamartine avait je ne sais combien de cordes, une seule, disaient les jaloux, mais plusieurs, je le crois, mais surtout des cordes assorties ; elle était bornée ; elle était vague, éolienne, mais elle n’était pas indéfinie ; tant mieux ! Qu’a-t-il fait ? Ambitieux et négligent à la fois, il a voulu y ajouter des cordes en tous sens ; au lieu d’une lyre, c’est-à-dire d’un instrument chéri, à soi, qu’on serre sur son cœur, qui palpite avec vous, qu’on élève au-dessus des flots au sein du naufrage, qu’on emporte de l’incendie comme un trésor, il a fait une espèce de machine-monstre qui n’est plus à lui, un corridor sans fin tendu de cordes disparates, à travers lequel passant, courant nonchalamment, et avec la baguette, avec le bras, avec le coude autant qu’avec les doigts, il peut tirer tous les sons imaginables, puissans, bronzés, cuivrés, mais sans plus d’harmonie entre eux, sans mélodie surtout. Ô Lac, cadre heureux, écho plaintif et modéré, chose amoureuse et close, qu’es-tu devenu ?

Oh ! encore une fois, quand on l’a, qu’on garde chacun sa lyre !

Dans sa pièce à M. Guillemardet, M. de Lamartine va jusqu’à accuser la sienne, celle d’autrefois, à s’en excuser :

Ma personnalité remplissait la nature…
Pardonnez-nous, mon Dieu ! tout homme ainsi commence…

Puis, expliquant sa transformation et comment il est arrivé à perdre sa voix dans le grand chœur, il ajoute :

Alors, par la vertu, la pitié m’a fait homme ; …
Passé, présent, futur, ont frémi sur ma fibre

    de nos jours, nous croyons utile de mettre sous les yeux la parfaite théorie morale posée par M. Daunou en cette matière ; elle complète dignement ce que nous avons recueilli, en commençant, de la bouche de Dante : « Telle est, dit X. Daunou, la mobilité de l’esprit humain, qu’il peut également persister dans ses erreurs ou y renoncer, acquérir des lumières qu’il n’avait pas ou se livrer à des illusions nouvelles. L’homme qui se sent éclairé, ou par des méditations profondes, ou par des affections irrésistibles, n’a qu’un seul devoir à remplir, c’est d’exprimer fidèlement sa pensée et de rendre hommage à ce qu’il croit être la vérité, soit qu’il l’ait depuis long-temps connue, soit qu’elle vienne de lui apparaître. Il n’y a de répréhensible et de pleinement déraisonnable, dans la communication des idées, que le mensonge. Seulement on peut regretter que La Harpe ait combattu ses anciennes opinions avec encore plus d’emportement et d’aigreur qu’il n’en avait mis pendant quarante ans à les soutenir. La modération eût à la fois convenu au caractère de ses nouvelles croyances et à ce long empire qu’avaient exercé sur lui les doctrines qu’il abjurait. Il devait se dire, comme Cicéron : Nimis urgeo, etc., etc. » (Discours préliminaire en tête du Cours de Littérature de La Harpe, 1826.)