Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/832

Cette page a été validée par deux contributeurs.
828
REVUE DES DEUX MONDES.

pour n’être que la maîtresse de César ? Laissera-t-elle en place la fille de Claude ? Cela est bon pour l’affranchie Acté ; mais elle, la patricienne, vaut bien Octavie, la fille de Messaline. C’est par le mépris qu’elle agit sur Néron. Voyez comment se laissait mener l’ame petite et misérable de César ! « Elle était mariée après tout, disait-elle ; l’hymen d’Othon était un beau mariage qu’elle ne voulait pas perdre[1]. Elle tenait à cette vie de luxe, vie non pareille qu’elle trouvait chez son époux ; là tout était grand et de magnificence et de cœur, tout digne de la première place. Néron au contraire, amant d’Acté, conjoint d’une esclave, n’avait gagné à cet ignoble commerce que d’abjectes et mesquines habitudes. Enfant maintenu par sa mère dans une rigide tutelle, avant de prétendre à l’empire, qu’il pensât à la liberté !… Il craignait de l’épouser ?… Qu’il la renvoyât à Othon ; même au bout du monde, elle aimait mieux ouïr l’opprobre de son empereur que d’en être témoin. » Ainsi parlait-on à Néron César. — Le matricide s’achèvera donc. Laissez-moi, pour les détails de ce grand drame, vous renvoyer à Tacite. Mais voici une scène qui donne la mesure de la vertu de ce temps. Une première tentative de meurtre sur Agrippine a manqué : Agrippine a fui à la nage ; le peuple s’émeut pour elle ; elle peut armer ses esclaves, soulever les soldats, implorer le sénat et le peuple. Néron appelle en conseil Sénèque et Burrhus : tous deux gardent long-temps le silence ; enfin, sur un regard interrogatif de Sénèque : « Les soldats du prétoire, dit Burrhus, sont dévoués à la maison de leur prince, ils se souviennent de Germanicus, ils n’oseront rien contre sa fille ; qu’Anicet tienne sa promesse ! » Anicet, le commandant de la flotte de Misène, était le conseiller de cette première tentative de meurtre. Voilà tout ce que la philosophie ose faire pour détourner un tel crime.

À la mort d’Agrippine éclate toute la servilité romaine. Ce crime indigne, mais il effraie, et toutes les gloires de Rome, toutes les vertus du sénat sont aux pieds de Néron. Burrhus l’envoie complimenter par les officiers du prétoire ; les villes de Campanie font fumer les autels et remercient les dieux ; Sénèque adresse au sénat l’apologie de son maître ; le sénat maudit Agrippine au seul moment où elle soit digne de pitié ; le sénat supplie Néron de revenir à Rome. Non seulement le sénat, mais tout le peuple vient au-devant de lui. — Quel besoin avait le peuple d’être servile à ce point ? — Ici toutes les femmes, là tous les enfans, toutes les tribus de Rome ; et au milieu

  1. Nec posse matrimonium amittere. (Tacite, XIII, 46.)