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un homme, c’en est assez pour le rendre un objet de malédiction. Les lois divines et humaines n’existent plus pour lui. Ce n’est plus un homme, c’est une bête de somme. On l’achète et on le vend comme une brute ; on le frappe comme on frappe le cheval qui traîne la charrue ; on lui donne une femelle, on l’accouple, afin d’avoir un plus grand nombre d’esclaves. S’il est marié, et que sa femme ne lui donne pas d’enfans, on lui ôte sa femme et on lui en donne une autre. On le pousse à l’adultère et au libertinage. Le maître souille ses esclaves, et il vend comme des bêtes les enfans qu’il en a eus. On a vu un président des États-Unis laisser conduire au marché les enfans qu’avait multipliés son libertinage, et le nom de cet homme est en bénédiction dans le pays ! On arrache les filles à leur mère, quand elles sont belles, pour en faire des prostituées. Et, dans la crainte que les nègres n’aperçoivent l’abaissement où on les a réduits, on ne leur laisse pas arriver le plus petit rayon de lumière. La loi défend de les instruire, mais elle permet de les dégrader et de les corrompre.

Parmi ceux qui ont visité et étudié les États-Unis, beaucoup se demandent quel sera le résultat final de ces iniquités. Tous conviennent que l’esclavage menace l’Union des plus grands dangers, parce que les nègres, se multipliant d’une manière effrayante, finiront par être les plus nombreux et les plus forts. Quelques-uns croient que le gouvernement des États-Unis sera assez sage pour conjurer à temps le danger. Quant à nous, prenant la question par son côté moral et providentiel, nous croyons que le gouvernement sera entraîné par le cours naturel des choses ; que le Texas une fois adjoint à l’Union, comme il ne peut manquer de l’être bientôt, les états à esclaves auront la majorité dans le congrès ; que, dès-lors, aucun frein ne pourra plus retenir la cupidité et réprimer l’injustice, et que la mesure une fois comblée, une effroyable réaction se manifestera et vengera Dieu et l’humanité, également outragés par ces crimes que rien ne peut excuser. Nous croyons à cette issue, comme nous croyons à la justice de Dieu et au gouvernement de sa providence dans l’histoire ; car nous n’avons pas encore vu, une seule fois, le crime et l’iniquité profiter long-temps à un peuple, et l’expérience nous a appris quelles calamités sont réservées aux nations qui violent la justice et les droits les plus sacrés.


Charles Sainte-Foi.