Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/812

Cette page a été validée par deux contributeurs.
808
REVUE DES DEUX MONDES.

peuplé le plus souvent par des colons de la Nouvelle-Angleterre ; le second, perpétuellement augmenté par ceux de la Virginie, de la Géorgie et des deux Carolines. Entre ces deux groupes coule l’Ohio, qui, comme le Potomack à l’est, divise à l’ouest, en deux moitiés bien distinctes, le territoire qu’il arrose et féconde de ses eaux. Depuis sa source, près de Pittsburg, jusqu’à son embouchure dans le Mississipi, le passager est frappé par le spectacle de l’aisance et de la prospérité qui règnent sur toute la rive droite, tandis que rien, hormis les beautés de la nature, n’attire ses regards vers la rive opposée. Là des villes florissantes, des villages ou des établissemens qui prospèrent, des hommes actifs et entreprenans, des routes, des canaux, des chemins de fer ; ici quelques villes éparses çà et là, et rompant, à de longs intervalles, la monotonie des forêts et du désert ; une population paresseuse ou sans énergie, quelques routes négligées ou mal entretenues, et un seul chemin de fer qui conduit de Lexington à Francfort. D’où vient cette différence ? Au nord, la terre est travaillée par des mains libres ; au sud est l’esclavage. Du reste, aucun caractère particulier ne distingue les états qui composent chacun de ces deux groupes. C’est une chose merveilleuse que le récit des aventures de ces hommes audacieux qui ont conquis pied à pied tout ce vaste territoire sur les Indiens, sur les bêtes féroces et sur la nature elle-même. Il n’est peut-être pas dans toute l’histoire un seul fait qui prouve autant que le fait de cette conquête tout ce qu’il y a de ressources dans l’intelligence de l’homme, de puissance dans sa volonté et de force dans son corps. La vie de chacun de ces conquérans est un roman où l’esprit du lecteur est à chaque instant saisi par les incidens les plus merveilleux, par les positions les plus extraordinaires et par les impressions les plus diverses. Mais si l’on est forcé d’admirer la persévérance, la patience et le courage de ces apôtres de la civilisation moderne, on ne peut, d’un autre côté, s’empêcher de plaindre ces pauvres Indiens arrachés au sol sur lequel ils ont vécu, et repoussés toujours plus loin des lieux qui les ont vus naître ; et l’on regrette de voir tant d’injustice et de dureté uni à d’aussi admirables vertus.

L’état de la religion aux États-Unis est peut-être le phénomène le plus extraordinaire qui frappe l’étranger dans ces contrées, où tout est nouveau, où tout est en dehors de la coutume et de l’expérience que le temps nous a fournie. Là, il faut avoir une religion, ce qui ne veut pas dire qu’il faille avoir de la religion ; il faut appartenir à une forme, à une association religieuse quelconque ; il faut avoir un symbole, ce symbole fût-il l’athéisme. Il semble que l’activité fiévreuse de ces hommes perdus dans les opérations commerciales les plus étendues et les plus compliquées doive être entièrement absorbée par le soin des intérêts matériels, et qu’il ne doive plus leur rester de loisir pour s’occuper du ciel et des choses de l’autre vie. Il n’en est rien cependant. Ces mêmes hommes qui portent le goût, l’amour du commerce ou de l’industrie jusqu’à une sorte de passion, poussent jusqu’au fanatisme le zèle des opinions religieuses qu’ils ont embrassées. Cette ardeur dans la foi doit être attribuée,