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RECUEILLEMENS POÉTIQUES.

tant qu’elle tournerait tout aussitôt à notre plaisir. Il accorde tant à l’humanité en général et à je ne sais quelle apothéose de l’espèce ; dans le particulier, il a l’air de croire si aisément à l’esprit horatien de ses amis, qu’il pourrait croire par là-dessus à l’immortalité des beaux vers. Tout le monde y gagnerait[1].

Et puis, quel que soit l’avenir et le prix, est-ce qu’en art comme en morale, il ne faut pas faire de son mieux ? Ce n’est pas même une comparaison que j’établis là, c’est une identité que j’exprime ; l’art, pour l’artiste, fait partie de sa conscience et de sa morale.

Les réflexions abondent, et je parlerai comme Job, dans l’amertume de mon cœur : cette négligence, cette prodigalité des beaux vers jetés sans aucun soin ni respect est-elle donc de la vraie humilité ? et quelle est, je vous le demande, la vraie charité, ou celle qui jetterait du haut de son char une poignée de louis au nez du pauvre, ou celle qui s’approche de lui, passe et repasse deux fois, le considère et lui met dans le fond de la main un louis, un seul louis d’or, qu’elle y renferme avec étreinte, le laissant immobile et pénétré ? Ô pieux Virgile, ainsi tu faisais pour les vers !

Ne prenez pas Virgile au mot quand il vous parle, presque en rougissant, de son loisir sans honneur, ignobilis oti ; ou c’est qu’en latin le mot n’a pas ce sens-là. Passe pour Malherbe (qui lui-même ne le disait que par coquetterie) de se comparer, poète, au joueur de quilles. Pascal pensait qu’un bon poète n’est pas plus nécessaire à l’état qu’un bon brodeur : il venait de lire un sonnet de Voiture. Mais qui donc plus que Virgile a été consolant au monde ? et M. de

  1. Tout le monde n’y gagnait-il pas, lorsque, dans de beaux vers de son épître à Barthélemy, qu’il a depuis changés en les réimprimant, il s’écriait :

    Car je sais que le temps est fidèle au génie,
    Et mon cœur croit à l’avenir !

    Tout n’était-il pas au mieux, lorsqu’aux années des divines amours, dans la plus mélodieuse élégie, il ravissait par des promesses bien d’accord avec de tels accens :

    Heureuse la beauté que le poète adore !
    Heureux le nom qu’il a chanté !
    Toi qu’en secret son culte honore,
    Tu peux, tu peux mourir ! Dans la postérité
    Il lègue à ce qu’il aime une éternelle vie ;
    Et l’amante et l’amant, sur l’aile du génie,
    Montent d’un vol égal à l’immortalité !…

    Et toute cette fin idéale et passionnée qui éclate par cette note suprême :

    Mais les siècles auront passé sur ta poussière,
    Elvire, et tu vivras toujours !