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REVUE DES DEUX MONDES.

Et vos attraits sans pair flestris et désolez,
Par l’avare désir d’un infâme libraire,
Qui, sous l’espoir du gain, pour chanter me fait braire ;
J’avoue, en la douleur de ma tendre amitié,
Que j’ay de votre estat une extrême pitié ;
Ou plustost qu’en tel poinct j’ai peine à reconnaistre,
Vous voyant si changez, que je vous ai fait naistre.

C’est la verve de Régnier. On croirait que les vers suivans sont de cet excellent satirique :

Je connois un peu nos petits rimailleurs.
Ils s’aheurtent tousjours aux endroits les meilleurs ;
La raison n’est jamais de leur intelligence ;
La richesse d’autrui chocque leur indigence.

Il y a peu de pièces de Saint-Amant, même des plus folles et des plus baroques, qui ne renferment quelques vers bien inspirés. Tantôt il peint le départ d’une flotte :

On lève aussitost l’ancre, on laisse choir les voilles ;
Un vent frais et bruyant donne à plein dans ces toilles ;
On invoque Tétis, Neptune et Palémon,
Les nochers font jouer les ressorts du timon,
La nef sillonne l’eau qui, fuyant sa carrière,
Court devant et tournoye à gros bouillons derrière.

Tantôt c’est le clair de lune pénétrant dans la lucarne de son grenier :

La lune dont la face alors resplendissoit
De ses rayons aigus une vitre perçoit,
Qui jetoit dans ma chambre en l’espesseur de l’ombre,
L’éclat frais et serain d’une lumière sombre,
Que je trouvois affreuse, et qui me faisoit voir
Je ne sais quels objets qui sembloient se mouvoir.

Ou bien ce sont encore :

Les plaisans promenoirs de ces longues allées,
Où tant d’afflictions ont esté consolées ;

Vers mélancoliques et charmans, qui méritent de rester gravés dans le souvenir de toutes les ames tendres, et qui ressemblent singulièrement au distique de William Cowper :

Our walks were planted to console at noon
The pensive wanderer in their shades.