Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/788

Cette page a été validée par deux contributeurs.
784
REVUE DES DEUX MONDES.

N’oseriez défier en guerre
La rivière des Gobelins !

C’est la caricature du Tibre, faite par Callot. Selon Saint-Amant, le fleuve romain n’est qu’un gueux, un voleur, un plat-pied ; on ne peut le regarder comme un corps de fleuve, mais comme un bras seulement :

C’est bien à vous d’avoir un pont,
À vous qu’avecque ma bedaine
À cloche-pied je sauterais ;
À vous, que d’un trait je boirais
Si je prenais la vie en haine !
À vous qui, sur notre élément,
Représentez tant seulement
Un ver liquide en une pomme !

Parodie sans conséquence, gros rire devenu dithyrambe, brio facétieux des Capitoli du Berni.

Il faut chercher Saint-Amant tout entier dans celles de ses poésies qui sont à la fois burlesques et personnelles, dans la Jouyssance, le Cantal, la Crevaille, le Cabaret, la Desbauche, le Melon. C’est là qu’il se montre sensuel à outrance, qu’il ose tout dire et tout décrire, qu’il a des expressions trouvées et des vers inouis, que le gros mot et l’obscénité lui échappent comme les ornemens naturels de son discours. Il nous est impossible de citer ces burlesques et indécentes preuves d’un talent mal employé. Occupons-nous enfin de son espoir ecclésiastique, de son grand poème, le Moyse sauvé.

Il y mettait la dernière main à la même époque où Milton transformait la Bible en épopée. Mais quelle différence d’inspiration ! Saint-Amant n’a vu dans son sujet qu’un prétexte, un canevas sur lequel il a brodé des descriptions piquantes et des détails agréables ; il le dit lui-même : « La description des moindres choses est de mon appanage particulier ; c’est où j’emploie le plus souvent ma petite industrie… Je fais une description d’une nuit, dans laquelle je m’arrête à parler, entre autres choses, de certains vers-luisans qui volent comme des mouches, et dont toute l’Italie et tous les autres pays du Levant sont remplis. Il n’y a rien de si agréable au monde que de les voir, car ils jettent de dessous les ailes, à chaque mouvement, deux brandons de feu gros comme le pouce, et j’en ai vu quelquefois tous les crins de nos chevaux tout couverts, et tous nos propres cheveux même. Ils volent en troupe comme des essaims