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LES VICTIMES DE BOILEAU.

Saint-Amant échappe à la trivialité des admirations convenues ; il ne tombe pas dans ce lieu-commun d’enthousiasme dont l’Italie a été le texte éternel :

Colonnes en vain magnifiques,
Sots prodiges des anciens,
Fastes pointus des Égyptiens
Griffonnés d’hiéroglyphiques[1] ;
Amusoirs de fous curieux ;
Travaux qu’on croit victorieux
D’un si puissant nombre de lustres ;
Faut-il que nous voyions partout
Trébucher tant d’hommes illustres,
Et que vous demeuriez debout !

C’est là, certes, une vigoureuse strophe ; celle qui suit est plus belle encore :

Piètre et barbare Colysée ;
Exécrable reste des Gots !
Nids de lézards et d’escargots.
Dignes d’une amère risée !…
Pourquoi ne vous rase-t-on pas ?
Peut-on trouver quelques appas
Dans vos ruines criminelles ?
Et veut-on à l’éternité
Laisser des marques solennelles
D’horreur et d’inhumanité !

Cette puissance d’amertume, soutenue ici par la raison, et mêlée à la caricature, est d’un effet admirable. Avec un grain de bon sens, quel poète !

Mais aussi quelles chutes ! Mille folles puérilités flétrissent cette pièce, tantôt goguenarde, tantôt obscène :

Il vous sied bien, monsieur le Tibre,
De faire ainsi tant de façon ;
Vous en qui le moindre poisson
À peine a le mouvement libre !
Il vous sied bien de vous vanter
D’avoir de quoi le disputer
À tous les fleuves de la terre ;
Vous, qui comblé de trois moulins,

  1. Pour hiéroglyphes.