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du troupeau des égoïstes ? On ne pourrait remplir son rôle utile en s’enfermant, non pas dans sa quiétude, mais dans son ministère de poète et d’écrivain ; en gardant, pour toute tribune, sa chaire de philosophie, d’histoire ou même d’éloquence ? La politique, dont M. de Lamartine renouvelle le programme dans sa préface, est belle et désirable ; je me reprocherais de rien dire qui pût en décourager un seul esprit. Seulement, pour la rendre possible, il importe précisément de ne pas la croire si facile, si prochaine, si universellement agréée. Je cherche en vain cette foule d’adhérens et presque toute cette jeunesse, qui, loin de grandir dans les luttes, me semble bien plutôt aujourd’hui les déserter. M. de Lamartine finit éloquemment sa préface par un appel à Dieu, comme Scipion entraînait les Romains au Capitole ; il suppose le divin juge mettant au dernier jour dans la balance, d’une part les rimes du poète, et de l’autre ses actions sociales ; on devine ce qui l’emporte. Mais il est toujours très périlleux de faire parler Dieu ; on pourrait aussi bien, et sans plus de témérité, supposer qu’il vous demandera compte du talent spécial qu’il vous aura confié ; s’il y a diversité de dons parmi les hommes, il peut y avoir diversité de ministères, et cela semble surtout plausible, quand le signe est aussi glorieux et aussi évident que dans le cas de M. de Lamartine.

On se méprendrait au reste sur notre pensée si l’on croyait que nous voulions en rien blâmer l’illustre poète de sa participation aux choses politiques : nous ne faisons qu’être sur la défensive au nom de sa littérature et de sa poésie qu’il offense. L’intérêt politique même, mieux entendu, devrait, ce nous semble, lui interdire ce langage. Nous nous trompons fort, ou cette manière de traiter son talent, quand on est surtout grand par là, cette facilité de faire bon marché de sa renommée, quand elle est si haute et si légitime, est peu propre à prévenir les hommes politiques spéciaux, parmi lesquels il aurait à prendre rang. S’il y avait en eux un préjugé défavorable contre les poètes, ce ton à l’égard de soi-même et de son public ne le dissiperait pas et l’augmenterait plutôt. C’est après tout, pourraient-ils penser, le même tour d’esprit qu’on apporte dans des sujets divers ; l’élévation s’y retrouverait sans doute, mais la négligence aussi dans le détail et dans l’emploi. Un poète, au contraire, qui, avec les hautes facultés et le renom de M. de Lamartine, arrivant à la politique (puisqu’il faut de la politique absolument), ne donnerait que des livres plus rares, mais venus à terme, et de plus en plus mûris par le goût, ne ferait qu’apporter à tout l’ensemble de