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REVUE DES DEUX MONDES.

Cestuy-la sent enfin sa vigueur consumée,
Et voit tout son argent se résoudre en fumée ;
Mais lui, de la fumée il tire de l’argent.

La Plante, vous le voyez, était un cafetier borgne qui tenait un café borgne, et chez lequel on fumait. Qui n’a pas remarqué la ferme souplesse de ce sonnet, son air déluré, sa tournure spirituelle et sa bonne facture ? Notre poète est dans son centre. Il s’est moqué de la vie ; cette moquerie sans portée et sans avenir est devenue pour lui la source de l’inspiration.

Il y avait alors de par le monde une princesse aventureuse, belle, spirituelle, romanesque, hardie, qui avait commencé par inspirer une passion vive à Monsieur, que la reine-mère avait enfermée à Vincennes pour empêcher ce mariage ; qui, dans sa première jeunesse, avait conspiré avec Cinq-Mars contre Richelieu, et marchait de conspirations en intrigues, d’intrigues en retraites forcées, de retraites en aventures, le plus innocemment du monde, comme cela se faisait alors. Fille du duc de Nevers et de Mantoue, Marie de Gonzague, dans un des soubresauts ordinaires de sa destinée, plut au roi de Pologne Ladislas Sigismond. Ladislas résolut d’abord de l’épouser, se décida pour une princesse autrichienne, perdit sa femme, et revint à Marie de Gonzague. Le chroniqueur le plus amusant de l’époque appelle cela des hausses qui baissent et des baisses qui haussent. Le mauvais traducteur Marolles, grand ami du poète, et qui buvait sec aussi, avait crédit près des familiers de la princesse. Il leur recommande son compère Saint-Amant, devenu parfaitement gueux ; on l’accepte. Il reçoit trois mille francs de pension, le titre de gentilhomme ordinaire de la chambre, celui de conseiller d’état, et part gaiement pour le pays des Sarmates, s’apprêtant, dit-il, à devenir « le gros Saint-Amantski. » Je ne sais si le gros avait oublié le rond ; mais d’Harcourt, qui s’en allait battre les Espagnols à Valenciennes, paraît ne s’être guère occupé du vieux et du gros, de Faret et de Saint-Amant, ses bardes acolytes. Faret, dont nous nous occuperons quelque jour, avait renoncé à la débauche en publiant l’Honnête Homme. Saint-Amant, épris aussi d’une fantaisie de gloire sérieuse, avait esquissé à plusieurs reprises un poème sur lequel il fondait ses espérances, et dont nous parlerons bientôt. La grande œuvre était dans ses malles, en 1649, lorsque le conseiller d’état de la reine de Pologne, traversant Saint-Omer, fut pris pour un espion politique, et retenu captif quelques jours par la garnison. « M’en allant en Pologne,