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LES VICTIMES DE BOILEAU.

de l’Académie pour elle-même et le talent réel de Saint-Amant. Il ne remplit pas un de ses engagemens, ne vint point aux séances, et persifla l’Académie :

Adieu, vous qui me faites rire,
Vous, gladiateurs du bien-dire,
Qui, sur un pré de papier blanc,
Versant de l’encre au lieu de sang,
Quand la guerre entre vous s’allume ;
Vous entre-bourrez de la plume,
D’un cœur doctement martial,
Pour le sceptre éloquential.

Il aimait bien mieux, disait-il, et préférait aux gladiateurs du bien dire (le vers est charmant)

Les honnêtes yvrongnes
Aux cœurs sans fard, aux nobles trongnes,
Tous les gosiers voluptueux,
Tous les débauchez vertueux,
Qui parmi leurs propos de table,
Joignent l’utile au délectable.

À force de sacrifier l’utile au délectable, Saint-Amant se trouvait sans le sou. Il ne se contentait pas de boire avec les grands seigneurs ; homme logique, débauché par nature et par habitude, il préférait le cabaret et la tabagie aux plaisirs des gentilshommes. S’il vous est agréable de pénétrer dans une tabagie parisienne sous Louis XIV, un sonnet de Saint-Amant va vous y introduire :

Voici le rendez-vous des enfans sans soucy,
Que pour me divertir quelquefois je fréquente ;
Le maître a bien raison de se nommer La Plante,
Car il gaigne son bien par une plante aussi.

Vous y voyez Belot, pasle, morne et transy,
Vomir par les nazeaux une vapeur errante ;
Vous y voyez Jallard chatouiller la servante,
Qui rit du bout du nez, en portrait racourcy.

Que ce borgne[1] a bien plus Fortune pour amie
Qu’un de ces curieux qui, soufflant l’alchimie,
De sage devient fol, et de riche indigent !

  1. Le maître du café était borgne apparemment.