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REVUE DES DEUX MONDES.

En mesme temps un autre son répète ;
Le canon tire, et des mousquets amis
Les feux sans plomb dans les airs sont vomis.

On a certes admiré chez Saint-Lambert, Roucher, Delille, Esmenard, des traces de talent beaucoup moins vives, des tours d’expression qui n’ont pas autant de vivacité et d’énergie. Saint-Amand s’étonne que l’on puisse vivre en un tel supplice.

Un homme sous les chaisnes
Semble en ce lieu triompher de ses gesnes ;
.....Il souffre sans gémir,
Vit sans manger, travaille sans dormir,
Rit, chante, joue, et dans son banc endure
Le vent, le chaut, la pluye et la froidure,
Sans que la honte ou la rigueur du sort
Excite en luy le souhait de la mort
..............
Ô merveilleuse, ô puissante habitude,
De la nature ou la fille, ou la sœur,
Tu convertis l’amertume en douceur !

Si ce n’est pas là du talent, à quelles marques le reconnaîtra-t-on ? Le sonnet, aimé de Ronsard et de Raïf, était souvent la forme préférée du poète. Sa gazette guerrière y perdait de la franchise ; et l’habitude qu’il avait prise d’aiguiser, en guise de queue, une pointe italienne, pour terminer ses quatorze vers, produisait un effet très ridicule. Nous aurons soin de ne pas nous arrêter sur cette portion officielle de son talent, qui lui fait peu d’honneur. Il a bien plus de force et de simplicité, quand il se met à son aise, le goinfre, et chante son vin, ses maîtresses, ses fromages, le melon dont il adore la saveur, ou le désespoir de l’ivrogne qui aperçoit d’un coup d’œil le fond de sa bourse et celui de sa bouteille.

Assis sur un fagot, une pipe à la main,
Tristement accoudé contre une cheminée,
Les yeux fixés vers terre, et l’ame mutinée,
Je songe aux cruautés de mon sort inhumain.

L’espoir qui me remet du jour au lendemain
Essaye à gaigner temps sur ma peine obstinée,
Et me venant promettre une autre destinée,
Me fait monter plus haut qu’un empereur romain.