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LES VICTIMES DE BOILEAU.

Tout cela est presque aussi bien versifié et rimé que les meilleurs vers de Gresset. Saint-Amant retrace avec talent ce qui frappe ses regards ; il fait de la poésie pour les yeux. Voici comment il peint les galères de Barcelone : c’est un gouffre, dit-il,

Où la misère abonde,
Où dans l’horreur d’un devoir inhumain
On voit agir et la corde et la main ;
Où le plus faible abat le plus robuste ;
Où la justice enfin devient injuste,
Et par l’excès d’un sévère tourment,
En crime affreux tourne le châtiment.

La rime est toujours riche, et la pensée énergique. Qu’est-ce qu’une galère ? demande-t-il.

Un enfer de vivans :
Une prison qui flotte au gré des vents,
Qui marche et vole et rampe et nage et glisse ;
Qui sous maint bois, des bras l’aspre supplice,
Déhache, rompt, fend le dos de la mer,
La pousse au loin, blanchit l’azur amer ;
Le fait frémir à l’entour de la prouë.
L’onde en murmure, et le timon qui joue,
Voit cent bouillons tournoyer après soy,
Comme enragez qu’il donne aux flots la loy.
À l’arriver, les antennes aislées,
Par mille mains sont aussitôt calées :
L’ancre s’abisme, et le salut naval
Tonne et s’enfuit au creux d’un sombre val ;
D’un mesme ton nostre bronze le paye ;
L’écho repart, et mugit, et s’effraye ;
Et tous ces bruits ensemble confondus
Rendent au loin les tritons esperdus.
................
De tous costez les membres se remuent ;
L’argouzin siffle : et les forçats qui suent
Des durs travaux, et futurs et soufferts,
Font, à ce bruit, sonner leurs tristes fers.
Leur sourde voix, encore qu’effroyable,
Tasche à nous faire un bonjour agréable,
Et, selon l’ordre, en accent de hibou,
Frappe l’oreille avec un triple hou !
L’airain creusé de la claire trompette