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LES VICTIMES DE BOILEAU.

fougueuse, excellente pour le coup de main, aimée du soldat, frayant avec lui, bachique et rieuse, se moquant du sort et de l’avenir, distribue les coups d’estramaçon avec autant de plaisir que les rasades. Richelieu vient de faire un héros, car le comte l’est devenu. Deviner un personnage, c’est le mérite des hommes politiques qu’on appelle leur bonheur.

Le comte d’Harcourt se met en route ; il va se battre. Toute la colonie des goinfres part avec lui. Un jeune gentilhomme de Normandie, huguenot sans fortune, bon enfant, fils d’un officier de marine qui avait servi sous la reine Élisabeth, ne demandait pas mieux que de courir les chances de cette vie gaillarde et guerrière. C’était Saint-Amant, ou plutôt Marc-Antoine de Gérard, qui venait de prendre le nom de son lieu natal. Son père, aventurier comme lui, s’était battu contre l’Armada, et les Turcs l’avaient enfermé deux ans dans la Tour Noire de Constantinople. Marc-Antoine, qui ne possédait rien que de la verve, de la jeunesse et toutes les soifs de volupté possibles, plut beaucoup à Henri d’Harcourt et à Faret, son compagnon de table. L’association entre ces trois personnages, partis de points si différens, devint intime ; ils se débaptisèrent : Faret s’appela le Vieux, Saint-Amant le Gros, et d’Harcourt le Rond. Ils voyagèrent de compagnie, Faret composant de mauvaises chansons, d’Harcourt commandant admirablement ses troupes, Saint-Amant essayant les deux métiers de poète et d’homme de guerre. Sa première œuvre poétique n’annonce pas beaucoup de génie ; c’est une chanson à boire en l’honneur du comte d’Harcourt et de ses goinfres.

Payen, Maigrin, Butte, Gilot,
Desgranges, Chasteau-Pers, et Dufour le bon falot,
Qu’un chacun élise son parrain
Pour trinquer à ce prince Lorrain !

Il nous permet qu’en liberté,
Sans aucun compliment, on lui porte une santé.
Beuvons donc, il nous fera raison,
Car il est l’honneur de la maison.

Estant parmi les Allemans,
Où son bras a plus fait que n’ont dit tous les romans,
Il apprit à suivre les hasards
De Bacchus aussi bien que de Mars.

Pour moi, disant ce qui m’en plaist,
C’est de le voir seigneur de Briosne comme il est ;