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LES VICTIMES DE BOILEAU.

tion plus sévère, « ramenant, dit-il, sur ses jambes nues sa couverture insuffisante, » il rêvait à sa vie passée et au sort des goinfres, ses amis, il exhalait, en se reprochant cette folle dépense du temps et du talent, des accens lugubres et grotesques :

Coucher trois dans un drap, sans feu ny sans chandelle,
Au profond de l’hiver, dans la sale aux fagots,
Où les chats ruminans le langage des Gots,
Nous éclairent sans cesse en roulant la prunelle ;

Hausser notre chevet avec une escabelle,
Estre deux ans à jeun comme les escargots,
Rêver en grimassant ainsi que les magots,
Qui, bâillans au soleil, se grattent sous l’aisselle ;

Mettre, au lieu de bonnet, la coiffe d’un chapeau ;
Prendre pour se couvrir, la frise d’un manteau,
Dont le dessus servit à nous doubler la panse ;

Puis souffrir cent brocards d’un vieux hoste irrité,
Qui peut fournir à peine à la moindre dépense ;
C’est ce qu’engendre enfin la prodigalité.

C’est à peu près la moitié de sa vie. Mais ce triste et joyeux sonnet qu’il intitule les Goinfres, date d’une époque de contrition tardive. Il fut écrit peu de temps avant sa mort, dans le taudis de la rue de Seine. Revenons aux premiers temps du prodigue.

En 1615, lorsque Saint-Amant avait dix-huit ans[1], vivait un cadet de la maison de Lorraine, d’une bravoure extrême, d’une audace qui méprisait le danger, et d’un esprit borné qui ne le voyait pas ; il se nommait le comte d’Harcourt. Ses amis les hôteliers, les baigneurs, et les courtisanes l’appelaient Cadet-la-Perle, parce qu’il portait une grosse perle à l’oreille, à l’instar du voluptueux Henri III. La nature l’avait fait petit, gros et niais ; le sort l’avait fait pauvre. Il se mit à jouer, à faire des dettes et à boire, tellement que les hommes graves l’eurent en mépris, et les gens du monde le délaissèrent. Un nom comme le sien valait de l’or ; il l’exploita pour ses plaisirs, puis

  1. Les Mémoires de Tallemant des Réaux, qui contiennent la plupart des détails suivans, se trouvent si complètement d’accord avec les poésies de Saint-Amant et avec les renseignemens épars dans les œuvres de Faret, Boisrobert, Conrart, Mlle de Scudéry, Colletet, d’Urfé, Vaugelas, Coeffeteau, que, tout en avouant l’esprit de médisance qui anime Tallemant, il nous est impossible de contester la réalité primitive de la plupart des anecdotes racontées par le chroniqueur.