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si vivement, que nous désapprouvons cette guerre. M. Thiers, et la feuille dont nous parlons lui rend cette justice, M. Thiers a, outre sa brillante éloquence et la supériorité incontestable de son esprit, le don de comprendre mieux que personne les nécessités du gouvernement. Il sait, il l’a montré souvent, à la fois l’organiser dans un moment d’anarchie et le défendre avec vigueur dans un moment de péril. La vivacité de l’esprit a ses inconvéniens comme ses avantages. Celle de M. Thiers l’a placé aux premiers rangs dans la coalition. Tout en ne suivant que de très loin les principes avancés de quelques-uns de ses coalisés, il a exigé certaines conditions de gouvernement qui n’étaient pas entièrement celles du 15 avril, et il a eu du moins le mérite de rester fidèle à sa pensée. Si M. Thiers s’est trompé, à coup sûr il s’est trompé de bonne foi, et il en a donné la meilleure preuve qui soit au monde en restant en dehors du gouvernement. Pourquoi donc l’en éloigner davantage en l’attaquant avec tant d’ardeur ? Le pouvoir est-il donc si fort en France, qu’on sacrifie ainsi, de propos délibéré, un de ses meilleurs, un de ses plus vaillans soutiens ! Eh quoi ! ôter à la fois un soutien à la monarchie de juillet, et l’envoyer peut-être, à force de dégoûts, au milieu des adversaires de ce régime, est-ce là de l’habileté ? On nous dira peut-être qu’un homme d’état qui ne tient pas, malgré tout, et quelles que soient les circonstances, au parti qu’il a embrassé, n’est pas un sujet regrettable. Mais n’avons-nous pas vu tout récemment les hommes d’état les plus sérieux et les plus graves mettre, par un mouvement d’humeur, le pouvoir à deux doigts de sa ruine, et le combattre par les actes les plus violens dans la chambre, dans la presse et dans les élections ? Après ce que nous avons vu de la coalition, nul de ceux qui y ont figuré n’a droit d’être sévère pour les faiblesses et les reviremens de la conscience d’autrui ; et, en fait de changemens de ce genre, ce n’est pas encore à M. Thiers que les récriminateurs pourraient s’adresser. Nous espérons, nous croyons fermement qu’il ne succombera pas à des faiblesses et à des tentations du genre de celles qu’il peut observer dans ses anciens alliés ; mais nous voudrions plus de mesure dans ses adversaires actuels, à qui nous ne supposons d’ailleurs que de bonnes intentions.

L’habileté politique, l’intérêt du roi et du pays, veulent qu’on n’écarte pas, à force de poursuites et de tracasseries, les hommes de talent et de ressources qui se trouvent momentanément en dissidence avec le gouvernement. Ils sont trop rares pour qu’on doive exposer la royauté à se priver de leurs services, et ce serait un manque de prévoyance, que les sacrifier. M. Thiers et ses amis, ou ses amis seuls, combattent le gouvernement à cette heure ; ils l’attaquent avec aigreur. Soit. C’est un grand mal sans doute, mais faut-il le rendre plus grand ? Il y a quelques mois, M. Passy et M. Dufaure n’étaient-ils pas bien plus loin du gouvernement et bien plus aigris contre le pouvoir royal et le pouvoir ministériel, que M. Thiers ne l’est à cette heure ? Où sont-ils et que sont-ils maintenant ?