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RECUEILLEMENS POÉTIQUES.

ne sortiront pas de notre mémoire et nous feront assez rentrer en nous-même : « … Que ceci te serve d’avertissement et te soit comme une semelle de plomb aux pieds, pour que tu n’ailles que bien lentement, et comme un homme déjà lassé, vers le oui ou vers le non des choses que tu n’as pas entendues du premier coup ! Que les hommes ne jugent pas avec trop de confiance, comme celui qui compte sur les blés aux champs avant qu’ils soient mûrs ; car j’ai vu le buisson, à demi mort et tout glacé pendant l’hiver, se couronner de roses au printemps ; et j’ai vu le vaisseau qui avait traversé rapidement la mer durant tout le voyage, périr à la fin, juste à l’entrée du port… Celui-là peut se relever, celui-ci peut tomber. »

À regarder d’un coup d’œil général le talent et l’œuvre de M. de Lamartine, il semble que le plus haut point de son développement lyrique se trouve dans ses Harmonies. Sans doute, aux cœurs surtout tendres et discrets, les Méditations, et les premières, restaient les plus chères toujours : on en aimait le délicieux et imprévu mystère, l’élévation inaccoutumée et facile, la plainte si nouvelle et si douce, le roman à demi voilé auquel on avait foi, et que chaque imagination sensible ne manquait pas de clore. Mais, du moment qu’on n’avait plus affaire au simple amant d’Elvire, et qu’on était décidément en face d’un poète, force était d’aller au-delà, de recommencer avec lui la vie et les chants : on eut peine à s’y résigner d’abord, et même, pour bien des cœurs épris de l’amant et qui bientôt se crurent dupés du poète, l’idéal, dès ce moment, fut rompu. M. de Lamartine s’élevait pourtant dans le lyrique ; sa voix s’étendait et se variait, son haleine devenait plus longue et accusait plus de puissance : le talent enfin, l’art (si l’on peut lui appliquer ce mot), gagnait en lui, et à la fois les sentimens divers abondaient sur ses lèvres avec assez de nouveauté et de fraîcheur pour racheter ce qu’ils avaient perdu de leur première unité. Depuis les Harmonies, on attendait une preuve poétique qui y répondît, quand Jocelyn vint annoncer comme une nouvelle manière : Jocelyn était un début dans l’ordre des compositions ; bien que la fable n’en fût pas bien difficile à inventer, elle était touchante, elle prêtait aux plus riches qualités du poète, et l’induisait sans violence à des tons rajeunis. Malgré des incorrections de détail et des longueurs, l’essai était charmant ; ce dut paraître un très heureux commencement pour les poèmes à venir, comme Hernani avait pu paraître, dans ses hasards, un heureux prélude pour des drames futurs.

Mais la suite a-t-elle répondu ? Cette suite, chez M. de Lamartine,