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REVUE LITTÉRAIRE.

primés depuis quelques années. Est-ce assez maintenant d’avoir du talent, un certain talent poétique de rhythme et de mélodie, pour mériter une place à part ? L’ordre élevé de sentimens, rendus et peut-être épuisés par les premières productions de M. de Lamartine et de M. Victor Hugo, n’est-il pas, pour bien des lecteurs, devenu presque vulgaire ? On écrit de nos jours avec le cœur, comme au XVIIIe siècle on écrivait avec l’esprit. Est-il donc plus difficile, après tout, de composer aujourd’hui certain hymne religieux, certaine élégie harmonieuse, qu’il l’était il y a cent ans, de tourner agréablement un joli madrigal chez la duchesse du Maine ou chez le Régent ? Qu’on ne crie pas au blasphème ! Je ne veux point comparer les genres, et je me hâte de donner la préférence à nos modernes. Ce qu’il faut seulement constater, c’est que telle Méditation ou telle Orientale (je ne dis point à coup sûr les meilleures, et me tiens aux plus pâles et aux moins caractérisées) est à cette heure possible à un grand nombre. De là cette propriété commune d’un certain fonds poétique élevé et harmonieux, qui autorise chez les moindres talens d’ambitieuses assimilations avec les écrivains vraiment créateurs qu’ils n’atteignent pourtant que dans leurs parties imitables. Qu’on y prenne garde ! les débuts ont été éclatans chez nos premiers poètes, et pour quelques-uns ces débuts n’ont pas été dépassés. Les Premières Méditations, les Odes et Ballades, ont fait prendre rang immédiatement à ceux qui les avaient écrites. Dans notre situation littéraire, dans la dispersion presque complète des écoles et des systèmes poétiques, l’originalité devient donc de plus en plus nécessaire, et un certain talent ne suffit plus. Ces formes sont devenues banales et courantes, ces sentimens appartiennent au premier venu ; et, sans croire au dépérissement de toutes les sympathies généreuses, sans crier si haut à l’invasion des intérêts matériels et politiques, il nous paraît très légitime de croire que si l’on publiait de bons vers, qui eussent réellement un caractère propre, ils seraient lus du public, car la poésie ne meurt pas, puisqu’elle est au fond des hommes et des choses.

§ II. — LITTÉRATURE RELIGIEUSE.

Réflexions et prières inédites, par Mme la duchesse de Duras[1]. — Oui, l’auteur des quelques lignes qui précèdent ce petit recueil posthume a raison ; les ames qui ont souffert ont des signes auxquels elles se reconnaissent, et elles trouveront ici l’accent de leur patrie. Ce volume est un legs simple et touchant, composé de pages charmantes, et profondément chrétiennes, échappées à l’heure de la prière et de la tristesse, au déclin des illusions, et laissées par une des femmes les plus distinguées de notre âge, par celle dont les purs et rares écrits ont marqué avec honneur dans la littérature de la restauration. Ce ne sont plus là de gracieuses fictions, ce n’est plus la légende

  1. 1 vol.  in-18, 1839, chez Debécourt.