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sèche et froide de Clémentine. Il y a, dans Adélaïde, intention évidente de réaction contre les imbroglio sanglans et exagérés des romans modernes, et à cette volontaire et extrême simplicité du plan répondent une grande sobriété de métaphores et une élégance châtiée de style. La proportion naturelle et convenable des détails, l’exacte vérité des sentimens exprimés, des observations fines de cœur et d’esprit, un ton contenu et qui laisse doucement la poésie s’exhaler elle-même de la tristesse des choses, donnent à cette œuvre un caractère harmonieux, qui demeure et dont on se souvient après la lecture.

Premiers chants, poésies par M. Louis de Ronchaud[1]. — Les poètes ont toujours eu deux priviléges dont ils abusent quelquefois, celui de maudire leur siècle, et celui d’annoncer très haut leur gloire à venir. Par malheur pour eux, il y a moins de vérité souvent dans leurs prophéties que dans leurs anathèmes. M. de Ronchaud a eu le bon goût de ne point se donner à lui-même le baptême du poète, comme cela se fait d’ordinaire, et il ne malmène pas trop son siècle. C’est à peine si à un endroit notre époque est traitée de barbare, et si l’auteur affirme, ailleurs, qu’il craint peu les dangers de la route, qu’il a su prévoir les dégoûts poétiques, et qu’il ne dit pas au monde ce qu’il attend, parce que ce monde frivole jetterait une parole dédaigneuse à ses rêves éclatans. Je ne veux pas insinuer que ce soit là de la prudence, mais je préfère, à coup sûr, la modestie convenable de cette demi-confidence à de plus ambitieuses assertions. La poésie de M. de Ronchaud a du nombre, de l’élégance, une certaine mélodie rêveuse ; elle se distingue par la sincérité des sentimens, la sérénité calme de l’émotion, une manière correcte et de bonne venue qui ne sent pas l’effort. Mais ces qualités précieuses ne semblent pas soutenues par le fonds même. Le paysage n’a point de caractère propre, rien ne l’anime, et le rayon qui l’éclaire tombe attiédi sur un site uniforme. Il y a, certainement, du talent poétique dans tous ces vers ; mais un certain reflet terne et effacé domine. C’est une lampe qu’on devine mal derrière l’albâtre trop épaissi. Je veux bien accepter l’horizon du poète, et son vallon me suffirait. À la rigueur, il n’est pas besoin des cèdres avec leurs fronts séculaires, du mugissement de la vague sur la grève, de la foudre dans les échos des montagnes ; mais le cristal de votre lac est bien dormant, le parfum de vos fleurs s’évapore avant de venir à nous, et nous sentons à peine cette brise qui, dans vos vers, agite la cime des grands arbres. Plus la poésie moderne veut fixer les nuances difficiles et non saisies encore du sentiment, plus il faut qu’elle arrête la pensée sous une expression nette, décidée et non flottante. Quelques pièces, entre autres le Roman, méritent d’être mises à part pour la simplicité gracieuse. Il y a de l’étendue et de l’élévation dans les morceaux intitulés Peut-être et l’Océan, mais l’œil s’y perd vite et s’y noie comme en un horizon brumeux de poésie.

Il est une autre objection qui ne s’adresse pas particulièrement à M. de Ronchaud, mais qu’inspire la lecture de presque tous les recueils lyriques im-

  1. 1 vol.  in-8o, 1839, chez Charpentier, rue des Beaux-Arts, 6.