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REVUE LITTÉRAIRE.

qu’elle rêve, et auquel, timidement d’abord, elle associe dans sa pensée un jeune officier de marine, M. d’Artevalle, qui, d’un couvent de Paris où elle avait passé toute sa jeunesse, a été par hasard chargé de la ramener en province, chez son tuteur. Ce sentiment, qu’Adélaïde laisse se développer en elle avec toute la naïveté et toute l’imprudence inexpérimentée d’un cœur adolescent, devient bientôt une passion profonde, concentrée, qui s’abuse et compte, avec l’imprévoyante espérance de la jeunesse, sur un retour trop désiré. Mais les vœux de l’être aimé s’adressent à une autre, et ce n’est qu’au dernier et fatal moment qu’Adélaïde apprend le mariage de M. d’Artevalle avec Clémentine, la fille de son tuteur. Ce coup la brise, et la jeune fille, trop faible pour résister à la chute rapide et inattendue d’une affection qu’elle avait pu croire partagée, s’affaisse et s’éteint sous le poids d’un sentiment plus fort qu’elle, et toujours resté secret. C’est au détail et à l’analyse de cet amour caché qu’est consacré le récit de Mme Augustin Thierry, et l’auteur a rempli, avec une habileté bien ménagée, ce cadre que sa simplicité même rendait plus difficile. La critique cependant croirait laisser périmer ses droits, si elle ne trouvait pas toujours quelque chose à redire. Reprocherai-je à Mme Thierry l’indifférence de d’Artevalle ? Mais si cette inattention prolongée de sa part m’impatiente un peu contre lui, cela prouve seulement qu’Adélaïde ne m’eût pas trouvé aussi indifférent. Puisqu’en imagination je me mets volontiers à la place d’un d’Artevalle plus prompt à deviner une pareille affection et même à la prévenir, l’objection que je voulais faire s’efface vite par une satisfaction d’amour-propre. Cet amour qu’Adélaïde me paraissait concevoir et s’avouer un peu trop vite, et que j’eusse préféré dès l’abord plus mystérieux et plus furtif chez une jeune et gracieuse pensionnaire, ne peut plus que me satisfaire du moment où j’entre pour ma part dans les passions du drame.

Il y a dans le Voyage autour de ma Chambre un charmant chapitre où M. Xavier de Maistre raconte ses angoisses quand, au milieu de ses lectures, il prend en esprit le rôle de Cléveland, de Werther ou de Clarisse. En définitive, on ne peut se substituer ainsi qu’aux héros pour lesquels on sympathise, et justement parce que j’eusse aimé Adélaïde, il m’est bien permis d’en vouloir un peu à d’Artevalle. Je suis bien sûr que les femmes partageront cet avis, quand ce ne serait que par amour-propre. Est-ce à dire que l’indifférence de d’Artevalle soit inadmissible ? Malheureusement non ; et, je le crains, bien des jeunes femmes retrouveront dans cette histoire un de ces drames vrais, naïfs, peu compliqués, qui n’ont pour théâtre que le cœur, mais qui suffisent néanmoins à toutes les péripéties de la passion, et quelquefois, hélas ! à rompre une frêle existence.

Plusieurs caractères sont ingénieusement tracés dans le livre de Mme Augustin Thierry, et je ne rappellerai que M. Laurenty, bel esprit de province, qui, cédant toujours à sa femme, coquette impérieuse et spirituelle, ne s’en venge que par des bons mots, et Marie-Rose, cette pauvre esclave noire, pleine de franchise et de dévouement, dont la bonté apparaît mieux auprès de l’ame