Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/73

Cette page a été validée par deux contributeurs.
69
RECUEILLEMENS POÉTIQUES.

plus ou moins en s’en applaudissant. Dans la sphère religieuse et philosophique, il lui est arrivé de tomber précisément, comme hier tel illustre qui le plaignait est lui-même tombé dans l’enceinte parlementaire : la seule différence est dans la hauteur des questions où chacun est tombé.

Dans l’ordre poétique, de même. Chute ou progrès, la variation est manifeste. Chez M. de Lamartine, on l’a dit déjà, il s’est passé depuis peu d’années une révolution intérieure, analogue à celle qui s’est opérée en l’abbé de La Mennais : il n’y a qu’à tenir compte de la différence des formes et des caractères. Les Harmonies pour l’un, le livre des Progrès de la Révolution pour l’autre, les avaient poussés à des limites qu’après juillet ils ont aisément franchies. Chez l’un il y a eu revirement brusque et violent, chez l’autre le simple développement a suffi. Dans les Harmonies, il perce déjà beaucoup d’idées de transformation chrétienne, mais arrêtées à temps. La lettre à M. de Cazalès sur la Politique rationnelle était encore dans cette première mesure. Mais bientôt, à voir l’exemple de M. de La Mennais, à sentir chaque matin le souffle des temps, l’émulation, sans qu’il se rendît compte peut-être, l’a gagné. Parmi ceux de sa couleur première, il se pouvait bien dire le seul avec M. de La Mennais que la révolution de juillet n’eût pas désarçonné. Oui ; mais, en ne les désarçonnant pas visiblement, cette révolution, au moment du saut, du relais imprévu, les a pris pour ainsi dire, et les a portés du bond, sans qu’ils eussent le temps de s’en douter et sans qu’il y parût, sur un cheval nouveau, pareils à ces coureurs de l’antiquité (desultores), et ils ont couru comme fraîchement dans la carrière recommençante. La différence de direction, à partir d’alors, se prononça chez tous deux, bien moins soudaine chez M. de Lamartine. Le Voyage en Orient donna l’éveil ; par sa préface de Jocelyn, l’auteur attacha un sens voulu à beaucoup de parties du poème qui seraient, sans cette indication, demeurées vagues, je le crois, et qui auraient passé sur le compte de la licence poétique. Lui et M. de La Mennais, enfin, sont devenus expressément humanitaires. Seulement M. de Lamartine, bien qu’il n’aille pas moins à pleines voiles dans cette idée, a gardé dans la forme, dans l’application en politique, dans l’extrême tolérance pour les personnes, tout ce qui faisait de lui dès l’abord un poète d’harmonie, d’onction et de grace ondoyante ; il procède toujours par voie d’expansion et non d’éruption.

Ce changement, il est curieux de le remarquer, se trouve précisément l’inverse de celui qu’on a vu chez les poètes anglais de l’école