Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/719

Cette page a été validée par deux contributeurs.
715
DE LA LITTÉRATURE POPULAIRE EN ITALIE.

beaux contes napolitains de Basile. Ces pièces roulent sur les plus merveilleuses fictions de la féerie. Des palais qui apparaissent et disparaissent, des amans qui perdent leurs états pour suivre des fées, des fées soumises, par les arrêts de la destinée, à de bizarres transformations, des nécromans commettant des folies atroces et accablés par une espèce de rébellion des forces infernales de la magie : tels sont les incidens que nous offrent ces nouveaux drames. Et, au milieu de toutes ces féeries, on rencontre toujours les quatre masques italiens avec leur spirituelle niaiserie. Le drame de la Femme serpent commence par une rencontre de Truffaldin et de Scapin dans un désert. Truffaldin raconte à son ami comment il a disparu du royaume, à la suite de Pantalon et du prince héréditaire : tous les trois s’étaient jetés dans une rivière pour y suivre un cerf et s’étaient trouvés dans un palais enchanté avec une nymphe, qui avait refusé obstinément de dire son nom. Un jour le prince a voulu forcer la retraite de la nymphe pour découvrir ses secrets, le palais a disparu au même instant, et il s’est trouvé dans le désert avec ses deux amis. Scapin est la première personne qu’ils rencontrent. De son côté, celui-ci est venu dans le désert avec Bredouille et le roi, père du prince, pour chercher ce dernier ; un nécromant les dirige. La lutte de deux génies qui, par leurs féeries, dominent tour à tour les personnages de la pièce, fournit tous les développemens du drame. Les métamorphoses, les évènemens de la Femme serpent sont si pressés, si multipliés, si mal enchaînés, que Gozzi n’a pu les faire entrer dans le cadre des cinq actes ; mais il a surmonté cet obstacle en introduisant sur la scène les crieurs publics de Venise, qui vendent la relation de ce qui s’est passé dans l’entr’acte.

Gozzi essaya une seconde fois de se passer du merveilleux, du moins il le remplaça dans un nouveau drame par les déguisemens du kalife qui visite les pauvres de Samarkand sous l’habit d’un iman. Mais dans la pièce qui succède à celle-ci, on voit paraître encore la famille royale de Carreau, la fille des Oranges et les parodies magiques. Cette fois, Gozzi ne se moque plus des poètes, mais du siècle et de son égoïsme philosophique. L’action commence vingt ans après la conquête des trois oranges : le roi père est mort, le prince Bredouille a disparu depuis dix-neuf ans, sa femme a été ensevelie vivante, ses deux jumeaux ont été noyés, il n’y a plus à la cour que la reine-mère, qui fait l’amour avec un mauvais poète ; Scapin a été brûlé et il est ressuscité ; Arlequin a abandonné la cour, l’égoïste, pour ouvrir une boutique de charcutier ; Pantalon est encore ministre, mais à force de voir des métamorphoses, il est devenu pyrrhonien. Dans la première scène, on voit Arlequin mettre à la porte deux orphelins, un frère et une sœur, que sa femme a élevés par charité ; à peine sortis de la maison, les deux orphelins sont protégés par la statue de Calmon[1], et ils vont se loger dans un palais magnifique qui surgit tout à coup

  1. Calmon est le héros de plusieurs traditions populaires des Napolitains. Gozzi, en prenant ce héros de Basile, en a conservé le nom, le caractère, et sa qualité de magicien transformé en statue.