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DE LA LITTÉRATURE POPULAIRE EN ITALIE.

Comment se fit-il donc que Goldoni passa pour le réformateur du théâtre italien ? Par méprise : c’est qu’il écrivit une foule de mauvaises comédies italiennes, qu’il y eut assez de pédans pour les prôner, et qu’en cette qualité d’auteur italien, il fut cruellement embarrassé par un imitateur et par un adversaire. L’imitateur fut l’abbé Chiari, écrivain détestable dont le nom est proverbial en Italie comme synonyme de sottise littéraire. Cet abbé se mit à suivre pas à pas les traces de Goldoni, depuis la sotte innovation des vers martelliens[1] jusqu’aux trois comédies des Sœurs persiennes, qu’il transformait en Sœurs chinoises pour se donner le ton de marcher de pair avec Goldoni. Sans talent, sans facilité, incapable de peindre une scène vénitienne, Chiari voulut reproduire toutes les qualités des œuvres italiennes de Goldoni, et en donnant soixante pièces au théâtre, il se présenta comme le véritable ennemi de la comédie de l’art. Il eut tout juste assez de succès pour ameuter contre son maître tous les partisans de la vieille manière d’improviser. Goldoni était bon homme ; s’il écrivait une comédie italienne, le jour suivant il donnait un canevas à la compagnie Sacchi, puis il écrivait une excellente farce vénitienne, et tout était fini. Mais quand le malheureux Goldoni eut l’abbé Chiari à ses trousses, il dut subir la responsabilité de ses fautes : un instant il eut la vogue de réformateur, mais ses fautes se multiplièrent par celles de son imitateur, et il finit par présenter aux critiques une énorme collection de comédies détestables. Ce fut dans cette fausse position qu’il s’attira les railleries de Baffo, les critiques perçantes de Baretti. C’est à cela qu’il dut d’être ridiculisé par des farces populaires qui le poussèrent au mauvais parti de demander l’intervention de la police : c’est là enfin ce qui lui valut l’inimitié de Ch. Gozzi, son mauvais ange, qui possédait toutes les qualités nécessaires pour l’abreuver de chagrins. On chercherait en vain un écrivain italien plus malencontreux que Goldoni. D’un côté, il fut harcelé par les écrivains qui savaient ce que c’était qu’une bonne comédie nationale ; de l’autre, il dut essuyer les invectives des littérateurs des municipes qui considéraient la comédie de l’art comme la plus belle gloire de l’Italie.

Charles Gozzi, rival de Goldoni, joua dans la littérature le rôle d’un écolier espiègle, plein de malice et d’effronterie. Il railla Goldoni d’abord pour le simple plaisir de la médisance, ensuite par dépit, puis parce qu’il fallait humilier le silence de ce dernier qui se retranchait derrière les applaudissemens populaires. « Je pense, se dit-il un jour, que si je pouvais attirer beaucoup de monde à des pièces d’un titre puéril et d’un sujet encore plus frivole, j’aurais démontré à M. Goldoni que les claquemens de mains ne prouvent pas la bonté de ses pièces. » Aussitôt dit, aussitôt fait ; il appliqua la forme dramatique à un conte d’enfans. Des jeunes filles écloses d’oranges, des rois de carreau qui vont mourir par suite d’un poison qu’on leur a administré en vers martelliens ; des châteaux enchantés, des cerbères que l’on endort à force de tirades héroï-comiques ; des verroux, des cordes, des balais qui parlent : telles sont les inven-

  1. Ainsi appelés du nom de l’abbé Martelli.