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les passans, débitait une foule de bons mots, de proverbes, et la foule se ruait sur ses pas pour l’entendre. Au théâtre, il se chargeait du rôle principal de la pièce. On dit qu’il a été le premier à introduire sur la scène les rôles d’Arlequin et de Pantalon. La noblesse de Padoue raffolait de Ruzzante et colportait ses calembours dans toutes les villas de la province. Les bouffonneries de Ruzzante dans les campagnes de Padoue ont exercé sur son talent poétique une influence qu’il est aisé d’apercevoir. La vie de Molino n’a pas été si plaisante ; mais, comme Ruzzante, il devint auteur en jouant des rôles sur de petits théâtres, quand il était de garnison à Candie et à Corfou.

En 1560 commence la seconde période de la comédie de l’art. Les réactions du catholicisme, la domination espagnole et toute l’Europe moderne pèsent sur les idées italiennes ; la liberté, l’immoralité et le génie du moyen-âge disparaissent. Pour la première fois, on trouve les pièces de l’Arétin scandaleuses, et la comédie impromptu est la première à se ressentir de cette révolution. Scène, rôles, sujets, tout est changé. On substitue des intrigues de mariage aux intrigues de courtisanes, on écarte les prostituées et les entremetteurs, on supprime le rôle du pédant, car il n’y a plus d’étudians à garder ; le chef de la famille se dessine avec plus de précision, car c’est de lui que dépend la marche de la pièce, et les valets vont voir augmenter leur importance ; ils sont les seuls, en effet, qui puissent désormais ouvrir les portes aux amans. — Voici les personnages principaux qu’on remarque dans les comédies de cette époque : des amoureux venus de la Romagne, les seuls de tous les personnages qui parlent italien ; Pantalon, négociant de Venise, homme simple et de bonne foi, toujours veuf avec deux filles à garder, et toujours dupe d’un amant, d’un valet, ou d’une servante ; Arlequin, balourd et niais, qui entreprend de gré ou de force une foule de fourberies et d’impostures ; Burattin, Scapin, ou Trivelin de Bergame, qu’on introduit pour faire ressortir la niaiserie de son compatriote Arlequin ; le docteur Gratien de Bologne, admis sur la scène (1560), avec son bavardage et son érudition burlesque, pour remplacer la bêtise doctorale du pédant ; enfin, les capitaines Fuego, Muerte, et autres bravaches espagnols, substitués au capitaine napolitain, qui naturellement a été supprimé par la domination espagnole. Ces personnages ne se bornent pas à la simple représentation des mœurs de la ville : plus le théâtre national et classique faiblit, plus le théâtre qui s’appuie sur les patois grandit par des drames fantasques, et la comédie de l’art va se doubler pour supplanter la tragédie italienne. Calmo avait préludé à cette tendance par ses églogues veneto-pastorales. Pasqualigo introduisit dans la fable pastorale des Intricati (1581) le capitaine espagnol et le docteur Gratien ; Guidozzo, en 1610, admit dans une autre pastorale (le Caprice) Burattin, Gratien, Pantalon et un capitaine allemand ; Cimilotti (1619) égaya sa pièce des Faux Dieux avec les personnages de Pantalon, Gratien, Arlequin et Scapin. Évidemment ces pièces furent inspirées par la comédie de l’art ; les masques de Pantalon, d’Arlequin, y étaient une espèce d’antithèse. On opposait ces types plébéiens aux types plus élevés que recherchait dans ses déguisemens