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turier de la Grèce continentale ; car il y a de l’avenir dans la Grèce, quoi qu’en disent quelques esprits chagrins. Évidemment l’agriculture est arriérée ; les fumiers se perdent dans les bois où paissent les troupeaux. La charrue qu’on emploie est encore celle des anciens ; les longues jachères sont en usage. Mais pourquoi renoncerait-on aux jachères, dans un pays où il y a vingt fois plus de terre qu’il n’en faut pour nourrir les habitans ? Quand la Grèce sera peuplée comme certaines parties de la France, comme la Belgique, comme l’Angleterre, alors on pourra trouver quelque intérêt à ne pas laisser reposer les terres. Jusque-là, on n’aura aucun motif pour blâmer l’étendue des jachères. Si l’agriculture est arriérée en Grèce, c’est que les bras y manquent, c’est que les moyens de transport y sont nuls, c’est qu’il n’y a pas de route, c’est que le blé de l’intérieur, porté à dos d’âne dans les villes maritimes, y revient plus cher que le blé tiré d’Odessa ou de Taganrog. Le Grec ne saurait, en aucune manière, être comparé à l’Espagnol, qui semble, les bras croisés, se nourrir de son orgueil. Un Grec a-t-il un champ ? il économise pour acheter deux bœufs ; en attendant, il en loue. Il laboure et cultive lui-même tout ce qu’un homme aidé de sa famille peut labourer et cultiver ; il fait son blé, son coton ; sa femme et ses enfans filent et font la toile nécessaire au ménage. S’il est parvenu à avoir quelques brebis, il fait son beurre ; autrement, il en achète des bergers qui se trouvent dans le voisinage. Il bâtit sa cabane ; son mobilier consiste en quelques ustensiles de cuisine, la plupart en terre, en une lampe, en trois ou quatre nattes, en autant d’oreillers longs et durs, en deux ou trois mauvais tapis, qui servent de couverture. S’il n’a pas de four, il fait cuire son pain plat sous la cendre ; mais lui et les siens changent assez fréquemment de linge. Il n’y a que le palicare qui, en souvenir de la vie qu’il a long-temps menée pendant la guerre, s’honore de sa saleté.

Livadie, située à deux lieues des ruines de Chéronée, est une de ces positions industrielles comme on en trouve peu. C’est la ville auvergnate de Thiers transportée en Grèce : même aspect, même situation sur une montagne, même abondance d’eaux limpides. Livadie pourrait devenir le Manchester du Levant.

Calculez, mon cher docteur, de combien de frais de toute nature s’augmente la valeur première du coton avant qu’il soit fabriqué en Angleterre, où l’on fait des toiles blanches qui reviennent à bien meilleur marché que les nôtres. Du coton récolté dans le haut du Mississipi doit d’abord être emballé ; ensuite on l’embarque ; il descend le fleuve ; on le décharge à la Nouvelle-Orléans ; on le met en magasin ; il est acheté pour l’Europe ; il est chargé de nouveau, transporté à Liverpool, déchargé, mis en magasin, vendu une seconde fois, rechargé sur les waggons des chemins de fer, déchargé et emmagasiné à Manchester. Que de frais ! que de primes d’assurances ! que de courtages ! que de commissions différentes !

À Manchester, le coton est mis en œuvre dans des fabriques dont les terrains et la bâtisse ont coûté des sommes énormes, et dont les métiers sont